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"El Hoyo" (soit "le trou") est un film vraiment passionnant, mais c'est aussi un film qui ne rencontrera probablement pas son vrai public, la plupart des abonnés à Netflix attendant - et on ne peut pas les en blâmer - leur content de SF, de surprises scénaristiques et de mindfucks : le fait que des comparaisons aient pu fleurir avec des machins simplistes du genre de "Cube" montre d'ailleurs le problème de l'ambitieux premier long-métrage de Galder Gaztelu-Urrutia. Car nous sommes bien ici devant un rejeton un peu bâtard du "Metropolis" de Fritz Lang, c'est-à-dire, à l'image aussi de la littérature conceptuelle de SF des années 60 et 70, une tentative de représentation symbolique d'un système social "d'anticipation", qui s'avère bien entendu tout-à-fait comparable au nôtre.


En accumulant sur une période de temps très courte des situations qui permettent d'inverser les rôles - de (plus ou moins) dominant à (totalement) dominé - attribués à son personnage central d'intellectuel idéaliste, Galder Gaztelu-Urrutia maximise l'usage de son astucieuse construction théorique d'une société verticale jusqu'au vertige. De victime consentante à "messie" inacceptable, Goreng va pouvoir expérimenter "physiquement" toutes les hypothèses possibles, jusqu'aux plus extrêmes, ce qui nous vaudra certaines scènes "gore" qui dévalorisent un peu le projet, mais restent tout-à-fait "acceptables" dans la mesure où elles génèrent, heureusement, plus d'horreur que de fascination.


"El Hoyo" réussit donc impeccablement à nous "mettre le nez dans notre propre caca" (au sens propre parfois) et à nous interroger sur ce que nous ferions nous-mêmes pour "grimper" dans l'échelle sociale si notre survie physique en dépendait. Ce mélange de questionnement moral (presque intime) et de parabole politique - puisque comme dans toute dictature, le peuple est complètement complice du système oppresseur - confère à "The Hoyo" une pertinence vraiment rare pour ce genre de film.


Interrogation directe (et implacable) sur la "tragédie des biens communs", c'est-à-dire du partage impossible du fait de l'égoïsme de tous, cette représentation terriblement anxiogène d'une sorte d'univers-test s'avère finalement un message très clair (et qui n'est pas "le message de la panna cotta" ou "le message de l'enfant" que souhaitent envoyer à ceux qui régissent le monde nos deux rebelles...) : puisque les ressources (de notre monde) sont par définition limitées, ce n'est qu'en nous unissant et nous organisant que nous pourrons assurer la survie de la totalité de l'humanité. Mais il semble que nous soyons tous trop individualistes, trop égoïstes pour ça...


Le fait même de se tenir avec un admirable entêtement dans le domaine de la métaphore, de ne jamais nous offrir de réponse "rationnelle", ou même simplement "logique", attisera la rage de nombre de spectateurs frustrés, mais confère au film une sorte de pureté théorique, ainsi que de cruauté radicale, qui le distinguent clairement du lot des films de genre.


"El Hoyo" est certes une expérience incontestablement éprouvante, mais aussi une étonnante source de réflexion.


[Critique écrite en 2020]

EricDebarnot
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le 1 avr. 2020

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Eric BBYoda

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