Si certaines critiques rédigées par des gens qui n'ont rien compris au film et ne peuvent pas tenir en place plus de cinq minutes vous ont donné l'impression que The Night House, intitulé en français "La Proie d'une ombre" dans un grand élan de connerie spoileuse, n'est qu'un énième machin d'horreur insipide semblable à ceux que les plateformes aiment pondre en masse ces dernières années (à la Dans les angles morts) ou même un studio Bloomhouse en perdition (dont le souvenir du surestimé Invisible Man nous viendra à deux-trois reprises face à TNH), j'ai une bonne nouvelle : ils racontent de la merde. Erreur d'amateur, je me suis laissé influencer par la moyenne critique d'Allociné, alors que j'aurais dû plutôt remarquer que le réalisateur, David Bruckner, est aussi responsable de l’efficace The Ritual, et qu'il a été engagé pour réaliser le reboot de Hellraiser (David S. Goyer co-écrit, mais bon, on croise les doigts quand même !)...


Un peu comme avec Hérédité, toutes proportions naturellement gardées puisque ce dernier est un chef-d’œuvre, plus je pense à TNH, c'est-à-dire plus je réfléchis à ses détails et à son sens, plus je l'apprécie. C’est une belle petite surprise, qui a des airs de cliché mais se révèle progressivement quelque chose d'AUTRE, qui mixe thriller à enquête et fantastique/horrifique (un peu comme le Hypnose de David Koepp), et qui fonctionne autant en tant que drame sur le deuil qu’en tant que divertissement paranormal - il faut juste apprécier les récits à infusion lente, ce que semblent lui reprocher pas mal de monde (bien que l'intrigue ne perde pas de temps pour se mettre en branle !). Le second, le divertissement paranormal, est au bout du compte secondaire à mes yeux A) parce que l’essence du film tient aux tourments intérieurs de son héroïne, dont la détermination, le côté cash (ce n'est PAS une chouineuse), et le rapport privilégié à la mort et aux ténèbres en font une protagoniste très "agréable" à suivre (incroyable Rebecca Hall, de quasiment tous les plans), et B) parce que son propos sur le deuil AINSI que l'expression de ce propos sont étonnamment originaux et pertinents (le deuil est lui-même un labyrinthe, potentiellement une créature vorace, et l’absence de quelqu’un peut aussi être la présence de son absence), sa symbolique rappelant vaguement le Babadook, tout comme son propos et l'expression de son propos sur la dépression (il n'y a pas de lumière au bout du tunnel, "seulement le tunnel"). À quelques facilités près, le scénario est sans faute de goût, jusque dans l'écriture de ses personnages secondaires (la meilleure amie survit au cliché, même les échanges avec l'aspirante-concubine ne mène pas au mélodrame craint, et leurs interprétations par Goldberg et la toujours mimi Stacy Martin aident bien) et de ses scènes les moins importantes (la scène du bar où l'héroïne, dont l'état d'esprit est un intriguant mystère, déconcerte ses collègues). Tout se passe assez fluidement et organiquement.


Exit l’épouvante : à une mémorable exception près, qui fera bondir de leur siège les plus émotives, il n'y a quasiment aucun "jump scares" dans TNH, et l’on n’aura que très rarement PEUR, l'espèce de petite figurine sadomaso bien glauque étant vraiment tout ce qui inspire de l'angoisse dans les deux premiers actes… parce que Bruckner a privilégié une VRAIE atmosphère malaisante, avec des notes de giallo dans le 3ème (saluons cependant ces changements de perspective qui forment avec les éléments du mobilier des silhouettes perturbantes !). Il faut donc important d'identifier ce qu'est le film avant de juger. Il est convaincant, tant visuellement (photographie d'Elisha Christian discrète mais sophistiquée) que sur le plan sonore (une bonne partie de ses effets se basent sur l'environnement sonore, à la Sinister, l'ingé son brillant par moments, comme dans les scènes aux abords du lac). Et que dire du climax, qui a une sacrée gueule, une bien violente, et bien exigeante physiquement pour son actrice ? Ne tournons pas autour du pot : l’idée du monde inversé conçu par les hommes pour piéger les démons païens et le fait que sa mise en image TIENNE LA ROUTE – on aurait juste aimé en voir bien plus – justifient à eux seuls le visionnage de TNH.


Puisqu'on parle de trucs étranges, reste alors la question de la JUSTIFICATION de ce climax, qui découle non de l’excellent, impressionnant premier twist (= le mari est un tueur en série, qui rend la compassion de l’héroïne à son égard un peu étrange, mais on va mettre ça sur le compte de son nez dans le guidon) qui se suffisait d’ailleurs à lui-même, mais du SECOND twist, la révélation complètement inattendue et faisant au demeurant sens (combinaison en soi admirable !) de cette espèce de démon qui est en fait l’INCARNATION du "rien" susmentionné qui représente la dépression (ce qui fait du "there is nothing" de la lettre de suicide une excellente idée). Au-delà du fait qu’on aurait aimé plus d’explications sur les origines de la relation entre le défunt-mari et ce "Rien" (quand ce dernier s'est-il immiscé dans sa vie, comment le mari a-t-il mis en place sa baraque-labyrinthe ?)... était-elle nécessaire ? Est-elle un apport positif... ou négatif ? Pour ma part, je le qualifierai de positif, car non seulement il conduit à des visions mémorables (les victimes du tueur en série vivant leur mort à répétition, la juxtaposition des deux soleils), il n’interdit pas la possibilité que toute cette dernière partie ne soit rien de plus que la manifestation visuelle de la psychose d’une protagoniste traumatisée par sa découverte et refusant d’accepter que son mari était un monstre. Après tout, le film aura pas mal insisté sur la confusion entre rêve et réalité.


Vous en connaissez beaucoup, vous, des films d’horreur "génériques" capables de proposer tout ça ?

ScaarAlexander
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le 5 déc. 2021

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Scaar_Alexander

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