La Route fait partie de ces films dont j'ai un excellent souvenir, sans pour autant me rappeler de beaucoup de scènes. En effet, si la fin m'avait marqué à sa sortie, pour le reste du film, il n'était question que de quelques images disparates. Il me fallait donc une piqure de rappel !


(attention, spoilers)


Les amateurs de jeux vidéo auront remarqué la référence dans mon titre au jeu de Naughty Dog. En effet, la Route lui est semblable sur bien des aspects. Même si le côté « apocalypse zombie » n'est pas présent ici, on retrouve la même naïveté de l'enfant qui se questionne sur un monde qu'il ne connaît pas, un monde révolu qu'il n'a jamais connu, qui le fait rêver autant qu'il lui fait peur. « Tu crois que je viens d'un autre monde, non ? », demande le père à son fils. Et on retrouve ainsi le rôle fondamental du père, de « celui qui sait ». Celui qui sait qu'il n'y a sûrement plus d'espoir, mais qui l'entretient, comme on entretient une illusion. Parce qu'espérer, dans ce monde en flammes, c'est vivre. Et si l'adulte n'en est plus capable, l'enfant doit continuer à vivre – à espérer.



Je lui ai dit que lorsqu'on fait des cauchemars, c'est qu'on a encore la volonté de se battre, qu'on est toujours en vie. Lorsqu'on commence à rêver à de belles choses, c'est là qu'il faut s'inquiéter.



Les scènes de flashback traitent de la relation entre le personnage principal et sa femme, lorsque tout ça a commencé. Et ces scènes illustrent parfaitement le dilemme auquel l'Homme fait face lorsque tout est détruit : abandonner et se laisser mourir par désespoir (ou par réalisme ?!), ou alors choisir de vivre dans l'illusion d'un avenir meilleur. Évidemment, nos deux protagonistes ont fait le second choix, et le film montre, avec beaucoup de justesse, que ce choix n'est pas forcément le meilleur, le plus heureux, le plus rationnel.


La longue route qui attend ce père et son fils est violente, alternant entre moments de bien-être illusoire et tentatives de suicide. La violence de la nature humaine ressurgit à travers des thèmes comme le cannibalisme, la tromperie, la trahison, la cruauté, que nos héros tentent de fuir coûte que coûte – bien qu'ils y soient toujours exposés, et donc tentés. Mais ils refusent de tomber dans cette facilité, le chemin que la majorité d'entre-nous prendrait dans ce genre de contexte, même si inévitablement, le père finit par céder à la violence qu'il rejetait jusqu'alors (d'abord il tue un homme, puis « rackette » un pauvre voleur, pour finalement tuer un mari devant sa femme). Ainsi, on prend plaisir, comme dans The Last of Us, à voir nos héros s'adonner aux plus triviales des activités (manger, se brosser les dents, lire le dos d'une boîte de conserve, fumer, ...).



Celui qui a créé l'humanité ne trouvera plus d'humanité ici-bas...



Deux personnages qui marchent, voyagent, sans but et pleins de questions, qui font la rencontre d'un vieil homme plein de sagesse ? Finalement, La Route, c'est bel et bien le récit d'un voyage initiatique. C'est autant le lent chemin glissant vers cet inévitable « coté obscur » de l'homme que les personnages s'évertuent à rejeter, qu'un chemin vers la rédemption et la liberté : la rédemption d'un père qui a vu la violence de l'Homme dans son ancien monde, et qui par la mort permet à son fils, symbole d'une humanité qui renaît de ses cendres (des flammes de l'Apocalypse), de construire un monde nouveau, meilleur, libéré de ses pêchés – pur.


J'ai donc pris un énorme plaisir à revoir La Route, et à redécouvrir cette longue marche, ce cri d'amour et d'espoir envers l'humanité, qui, bien qu'ici dépeinte dans ses plus sombres aspects, est encore animée par ce « feu qui est en nous ». « Nous, on est les gentils, nous, on porte le feu » – non pas un feu destructeur, mais un feu d'amour. Une flamme que même l'enfer ne peut éteindre. Même si parfois, cette flamme ne subsiste que grâce au mensonge, le mensonge que tout ira mieux, puisque comme l'a dit Leibniz, Dieu a fait que « nous vivons dans le meilleur des mondes possibles ». Mais pourquoi un tel Dieu nous aurait-il abandonné ? À en croire la fin du film, il pourrait n'être pas encore tout à fait parti. Peut-être était-il simplement là, avec eux, sur la route.



Et vous, est-ce que vous portez le feu ?



Je vous laisse enfin avec Ben E. King, et sa chanson cultissime « Stand By Me », que je trouve particulièrement belle et à propos, et qui soulève ce même questionnement : cette personne à qui le chanteur demande de « rester à ses côtés », est-ce vraiment quelqu'un, ou est-ce Dieu ? (de la même manière que Beckett, en attendant Godot, n'attendait peut-être personne d'autre que le Divin, qui n'est jamais venu).


« When the night has come
And the land is dark
And the moon is the only light we'll see
No I won't be afraid
Oh, I won't be afraid
Just as long as you stand, stand by me


So darling, darling
Stand by me, oh stand by me
Oh stand, stand by me
Stand by me


If the sky that we look upon
Should tumble and fall
Or the mountain should crumble to the sea
I won't cry, I won't cry
No, I won't shed a tear
Just as long as you stand, stand by me. »


Il reste une dernière question que je me pose à moi-même et dont je n'ai pas vraiment la réponse, pour ceux qui auront lu jusque là, concernant le générique de fin. Le bruit des oiseaux, les aboiements d'un chien, les rires des enfants et le sentiment d'une vie revenue « à la normale », font de la fin du film une fin très heureuse, pleine d'espoir. Mais je suis plus pessimiste. En effet, comme je l'ai cité plus haut : « lorsqu'on fait des cauchemars, c'est qu'on a encore la volonté de se battre, qu'on est toujours en vie. Lorsqu'on commence à rêver à de belles choses, c'est là qu'il faut s'inquiéter ». Et si ces bruits d'une potentielle vie nouvelle et heureuse étaient en réalité le rêve de l'enfant, annonçant donc implicitement sa mort ? C'est peut-être un poil tiré par les cheveux, comme on dit, si bien que moi-même je n'y crois pas beaucoup, mais j'aime bien inventer ce genre de théories mindfuck et je pense que c'est un élément qui méritait d'être souligné...

Créée

le 26 sept. 2016

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Jules

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