L'humanité, ce barbarisme encadré

Tout d'abord, je dois prévenir les futurs visionneurs potentiels : si vous vous attendez à un film d'action où l'on suit les péripéties d'un homme et de son fils, vous vous trompez. Effectivement, on suit les ''aventures'' de ces deux personnages, mais tout est dans la psychologie, dans la finesse et dans l'universalité du propos.


Si l'on s'attache aux deux protagonistes, dont les performances sont saisissantes et marquent un pilier dans l'histoire qui nous est narrée, c'est avant tout le bref récit d'une existence longue et triste que le spectateur aperçoit dans un court instant. Le temps semble avoir suspendu son envol, et l'onirisme pèse, matérialisé par un voile gris et brumeux. Nous sommes présents, mais uniquement dans une vision passive, sans possibilité d'infléchir sur le court des choses. Nous nous trouvons face à la tragédie, dans toute son expression. Il ne reste plus rien de ce que le monde a connu hier. Et si la froideur de l'ère contemporaine semble incongrue et déroutante, cela n'est rien face au silence et à l'exacerbation de cette pesanteur post-apocalyptique.


Psychologiquement très déroutant, le récit n'a pas de but à proprement parler. L'absence d'objectif de la part du père nous laisse découvrir peu à peu qu'il n'y aura pas de finalité à l'escapade, et que les périples qui se déroulent le long de cette route ne sont qu'une infime partie de tout ce qui s'est passé avant, de ce qui se passera ensuite, et de ce qui aurait pu se passer. À la place du père et de son fils, on imagine aisément se trouver confronter à la dure réalité qui les entoure – une réalité qui pourtant, sans être si surréaliste que cela, nous parait tellement lointaine, tellement obscure. C'est cet universalisme qui nous confronte d'autant plus à la dureté qui s'impose aux personnages. On ne connaît pas leur noms, et pourtant, cela n'a aucun impact sur notre perception de l'histoire. Au contraire. Finalement, tout un chacun aurait pu se trouver dans la même situation et l'on aurait traversé peu ou prou les mêmes épreuves.
C'est aussi l'idée que l'on doit se battre pour la vie, mais sait-on vraiment contre quoi se battre, quand protéger le peu d'humanité et de monde qui nous entoure est finalement devenu un combat dérisoire. Problématisant le poids de la vie, la valeur de cette dernière, et les choix qui l'occupent, le résultat saisi par ce mélange d'impassibilité et d'attente. Attendre quoi ? Nul ne le sait. La quête du repos, sinon de la paix de l'âme, entre recherche d'un temps perdu et désillusion d'un univers en ruine où se mêlent crime, abandon et espoir.


L'esthétique même rend compte de cette absence totale de sentiments, cette froideur qui habite désormais le monde, qui le rend à la fois hostile et neutre, faisant divaguer les âmes esseulées et perdues dans un espace qui n'existe plus que par de lointains souvenirs et des bribes de matérialité qui jonche le sol des rues désertes. L'aspect terne, gris, inexpressif, constitue à lui seul une entité essentielle dans la construction du film qui tend à se rapprocher de chaque individu, selon un principe d'objectivité qui laisse derrière nous toute trace de personnalité et d'individualité.
La tension survient essentiellement lorsque l'on tombe sur d'autres individus, impliqués dans des pratiques barbares et tributaires d'un état primitif ; la civilisation n'est plus. Et ce sont ces groupes qui viennent nous le rappeler, parfois avec une violence inouïe qui ne manque pas de provoquer un état de choc par rapport à la linéarité de la trame narrative, toujours avec cette idée d'un avancement, d'un cheminement sans but.

FlorianAubert
7
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le 4 juil. 2016

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