Franchement au début, je suis resté un peu dubitatif, le cinéma de 1931 est toujours un peu brouillon, en plus impossible d’avoir des sous-titres et le son du début du parlant n’est pas forcément d’une grande netteté…


Mais bon, c’est la ruée sur l’Oklahoma, c’est tellement énorme comme idée de répartition des territoires que ça donne presque envie et je pardonne presque au héros ses allures de sous-Brando adipeux et sa gaieté permanente…


Et puis, c’est étrange ce film, ça ne mène jamais trop où ça devrait, ce qui est particulièrement réjouissant… Alors, bien sûr, au début, le héros de bonne famille à la faconde inépuisable qui s’improvise aussi bien pasteur syncrétique qu’avocat de la poule du coin harcelée par les bonnes âmes du coin (sa femme en tête) pourrait être agaçant avec ses vêtements criards, son petit noir cireur de bottes et sa famille proprette, surtout que les méchants sont sales, hirsutes, bedonnants et mal vêtus… Mais le bougre dégage une telle foi, un tel dynamisme qu’il emporte les réticences sur son passage….


Pourtant, Richard Dix est loin d’être un acteur subtil, mais que voulez-vous, Yancet Cravat est un héros plus énergique que profond, c’est le bâtisseur d’empire dans toute sa grandeur, le meneur d’hommes infatigable.... Comme le raconte le petit juif à un moment ! « Lui il invente le monde, nous, nous nous contentons de vivre dedans ». Et il y a quelque chose de presque bouleversant dans cet homme incapable de tenir en place plus de quelques années, sacrifiant sans vergogne sa famille à ce besoin d’aventures qui l’étreint jusqu’à l’étouffement…


Face à lui, la pauvre Irene Dunne a bien du courage et de la patience, elle a surtout un mérite finalement assez rare au cinéma, art souvent trop bref pour ce genre de choses, elle évolue.


Et finalement de raccourcis dans le temps en évolutions diverses, le film arrive à se rattraper lui-même, la crise de 29, le début des années trente, le « maintenant » d’alors, dans un mouvement presque vertigineux… quarante années seulement, pourtant entre la grande ruée de 1889 et la réalisation du film, mais il y a tellement de mythe dans le western que c’est un peu comme si en vieillissant un chevalier de la table ronde ou un mousquetaire on parvenait à l’emmener jusqu’aux premières locomotives à vapeur…


Avec ça, le héros n’est pas toujours où on l’attend, sous ses airs de nettoyeur de ville se cache plutôt le directeur de journal progressiste, celui dont le discours n’apparait pas seulement en avance sur son temps de western, mais aussi sur son temps de cinéma, pour ne pas dire bien plus que cela d’ailleurs, tant les retards dans ces domaines se feront nombreux…


Fresque épique à oscars sur la construction des Etats-Unis, le film de Wesley Ruggles cache derrière une fougue bien réelle un discours plus subtil qu’il n’y parait, sachant par ailleurs vous tenir en haleine sans difficultés pendant 130 minutes qui ressemblent tellement peu à ce qu’on peut voir d’habitude, qu’il faut s’avoir passer sur quelques maladresses d’époque d’un art à nouveau balbutiant, bien loin de l’incroyable maîtrise des dernières années du muet…

Torpenn

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