Häxan, la sorcellerie à travers les âges, B. Christensen (1922)

Synopsis : Plus qu'un simple documentaire, La Sorcellerie à travers les Âges défie toutes les frontières de genres et de style en étudiant la nature de la sorcellerie et du satanisme, de la Perse Antique aux temps modernes.

Surprenant au premier abord, j'ai vite compris sa place dans cette liste. Sa structure particulière, son introduction historique et sa bienveillance pédagogique reste son principal atout, mis en exergue par des choix de cadrages et de montages précis.

Comme le titre l'indique, Benjamin Christensen cherche à visionner le parcours de la sorcellerie, de ses adeptes et des punitions infligées, la perception de l'Église et de la Loi, les rites et us, etc. Bref, une évolution médiévale qui s'achève au XXe siècle. D'une part documentaire grâce aux nombreuses recherches et documents présentées, Christensen chamboule son récit pour de la fiction, orchestrée par ses soins avec des comédiens et un studio de cinéma. Voici déjà la première particularité d'Häxan, cette oeuvre hybride mélangeant tous les codes rassemblés afin d'avoir un produit unique.

Pour expliquer ce phénomène étrange, Christensen va opter (comme à l'accoutumée en Europe) de diviser son récit en plusieurs parties, liées les unes aux autres afin d'avoir un tout cohérent. La première partie vise à expliquer la conception de la sorcellerie, de l'Enfer et du monde en général dans l'Antiquité. Ce choix est fait pour pouvoir, une fois le décor posé, s'immiscer plus concrètement dans le sujet. Le choix de Christensen s'avère en réalité surprenant, préférant une suite de photo-montage (pendant 15 minutes), parsemés de cartons avec un pointage du crayon sur les zones de l'image décrites. Cette lenteur et ce rythme constitue en fait un élément de force, attirant le regard et l'attention du spectateur sur un point bien précis, illustré afin de s'imaginer les moeurs de l'époque.

Les cartons, j'en parlais, sont une nouvelle fois repensé et ne se présentent pas comme des dialogues mais des écrits du réalisateur même face à son public : un véritable échange se fait et le film conscientise le tout par le biais de son réalisateur, assumant donc la subjectivité. Très fréquents, afin de garder cet esprit d'échange, ils donnent donc des éléments sur les prochaines images ou des commentaires sur les précédentes.

Ensuite, la fiction et les thèmes impliqués ; le plus gros morceau. En effet, la sorcellerie est un sujet qui fascine et donc les possibilités sont infinies, chacun a sa propre perception de la chose. Pour Christensen, c'est du fantasme ! Un concept innovant visant à expliquer ce que les humains ne comprennent pas scientifiquement. Une sorte d'effet placebo à puissance 10. Et dans ce but, il va décrire une sorcellerie bourrée d'artifices : mêlant toutes les techniques de l'époque (surimpressions, iris, cache, ralenti/accéléré, etc.) on comprend que c'est superficiel et pas pris au sérieux. D'ailleurs, la sorcellerie apparait à travers un point de vue, ce qui appuie fermement cette idée de rêverie.

Dans la même optique, les diables sont peints, déguisés et joue également sur ces notions de fantasmagorie. D'autant qu'il y a une grande part de sexualité dans ce film ! Que ce soit du plus subtile au plus évident (des baisers sur les postérieurs), l'entièreté de la narration joue sur un conflit homme-femme et une relation érotique entre les deux.

Conflit car les quelques fois où les deux sexes sont présents à la caméra, il y a une inégalité (supplice, soumission, folie) ou une différence spatiale, le réalisateur préférant des champs/contrechamps pour bien séparer les sexes. L'emplacement de la caméra va jouer un rôle car les femmes sont souvent en plongée contrairement aux hommes, symbolisant une relation phallocratique assez prononcée !

Le choix et le style du réalisateur sont atypiques, variant entre des plans larges pour voir de l'action ou des gros plans serrés sur les visages pour voir l'émotion et décrypter le réel de l'imaginaire. Ce sont les deux principales valeurs attribuées lors du film, toujours en plan fixe. Quelques mouvements (très) rares viennent déroger à la règle.

Häxan pourrait vous surprendre par ses connotations multiples, sa structure innovante ou son historique bien documenté qui chamboule la vision du cinéma. Entre un Nosferatu glaçant et un Nanouk attachant, Christensen ne choisit pas de camp et décide de créer son propre chef d'oeuvre à la fois instructif et déjanté.

HALLUciné
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le 28 nov. 2017

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