Comment souvent dans le cinéma de propagande soviétique, le premier choc provient de l'empreinte graphique incroyablement puissante laissée par la composition de ses cadres et sa dynamique de montage. Ce n'est qu'une fois cet assaut de l'image apaisé que la dialectique de la nature, des paysans et de la collectivité peut infuser dans la toile.


Le vent dans les champs de blé (Malick à l'état embryonnaire), qui sera ensuite récolté pour faire le pain et nourrir la communauté, les cultures fertiles à perte de vue, la mort d'un vieillard à l'ombre d'un verger, entouré d'un amoncellement luxuriant de pommes et d'enfants qui croquent les fruits, ces contre-plongées monumentales pour célébrer l'humain projeté dans le ciel, le ruissellement de la pluie qui lave les cœurs et panse les plaies en accompagnant la transition... S'il y a bien une composante de la propagande qui me paraît intacte aujourd'hui, c'est bien le lyrisme de cette mise en scène (pourtant minimaliste dans ses effets) pour célébrer la nature, au-delà du conflit qui oppose les riches koulaks aux pauvres kolkhoziens. Bien sûr, Dovjenko filme la métamorphose de la société ukrainienne des années 20 en se positionnant du côté attendu : il y a l'enthousiasme des villageois acquis aux idées bolchéviques d'un côté, et la perfidie de ceux qui entendent assassiner la révolution collectiviste en tuant froidement et lâchement Vassili de l'autre.


Reste que la puissance formelle de La Terre constitue à mes yeux un intérêt souverain, parsemée de-ci de-là de petits motifs métaphoriques, en allant du plus frontal au plus subtil, de la révolution en marche qu'on ne peut arrêter, tracteur en tête, à ces fleurs de tournesol qui auréolent le défunt Vassili. Comme si c'était la poésie du renouvellement, dans ses élans lyriques, qui avait pris le dessus avec le temps. Plus épuré mais moins électrisant qu'Arsenal, sorti l'année précédente. Comme un chant (champ ?) du cygne du muet soviétique, aussi, avec sa lenteur contemplative très prononcée pour amorcer une sorte de cycle cosmique de vie et de mort, à la frontière du panthéisme.


La révolution en images ici : http://je-mattarde.com/index.php?post/La-Terre-de-Alexandre-Dovjenko-1930

Créée

le 17 juin 2020

Critique lue 228 fois

6 j'aime

3 commentaires

Morrinson

Écrit par

Critique lue 228 fois

6
3

D'autres avis sur La Terre

La Terre
Docteur_Jivago
8

Vive la collectivisation des terres !

C'est dans une Ukraine en pleine métamorphose que deux groupes de cultivateurs aux modes de pensée différents s'affrontent, et c'est autour du destin d'un jeune communiste que Dovjenko axe son...

le 11 avr. 2015

23 j'aime

11

La Terre
Sasory
7

Critique de La Terre par Sasory

Encore un très bon film muet, peut être pas le meilleur que j'ai vu, le sujet ne me plaisant pas et ne m'emportant pas plus que ça, mais en tout cas un excellent film muet, et russe. Les acteurs sont...

le 6 juil. 2011

7 j'aime

La Terre
Morrinson
8

Poésie de la réforme (agraire)

Comment souvent dans le cinéma de propagande soviétique, le premier choc provient de l'empreinte graphique incroyablement puissante laissée par la composition de ses cadres et sa dynamique de...

le 17 juin 2020

6 j'aime

3

Du même critique

Boyhood
Morrinson
5

Boyhood, chronique d'une désillusion

Ceci n'est pas vraiment une critique, mais je n'ai pas trouvé le bouton "Écrire la chronique d'une désillusion" sur SC. Une question me hante depuis que les lumières se sont rallumées. Comment...

le 20 juil. 2014

142 j'aime

54

Birdman
Morrinson
5

Batman, évidemment

"Birdman", le film sur cet acteur en pleine rédemption à Broadway, des années après la gloire du super-héros qu'il incarnait, n'est pas si mal. Il ose, il expérimente, il questionne, pas toujours...

le 10 janv. 2015

138 j'aime

21

Her
Morrinson
9

Her

Her est un film américain réalisé par Spike Jonze, sorti aux États-Unis en 2013 et prévu en France pour le 19 mars 2014. Plutôt que de définir cette œuvre comme une "comédie de science-fiction", je...

le 8 mars 2014

125 j'aime

11