Il aura fallu environ 10 ans à Michael Dudok de Wit, auteur avant ça de 2 courts-métrages d'une beauté sans nom (Le moine et le poisson et Père et fille, primé au Oscar 2000 (!), qui sont d'ailleurs disponible sur YouTube et Dailymotion et ils valent vraiment le détour), et ses collaborateurs, notamment le Studio Ghibli (studio japonais renommé dans le domaine de l'animation) mais aussi Wild Brunch (Vincent Mariaval) et Why not Production, pour réaliser et produire La tortue rouge. Un travail de longue haleine qui a pris fin! Enfin!
L'équipe d'exception sous la houlette du perfectionniste et minutieux réalisateur néerlandais tisse l'histoire d'un homme qui s'échoue sur une île desserte après un accident de bateau. Il décide de construire une embarcation de fortune (faits d'actualité avec les migrants(?)) pour fuir la solitude. Dudok de Wit nous interroge sans cesse: faut-il rester avec ses acquis ou tenter une aventure au risque de tout perdre? Avec ce questionnement, on peut faire un lien avec Into the wild de Sean Penn. Le trait est fin, sans fioriture. On trouve chez lui une sorte d'inspiration "asiatique" (il a été très influencé lors de ces différents voyages en Chine, au Japon et au Tibet par la simplicité des dessins des moines locaux). Les couleurs primaires (la plage jaune sable, la nuit bleue marine, le ciel et l'océan bleu azur et la forêt de bambous verte) sont d'une intense qualité picturale. De plus, Dudok de Wit arrive parfaitement à varier entre les différentes techniques de dessins: encre de Chine, aquarelle, dessins au pinceau. L'aide précieuse des studios de Miyaka Miyazaki et Takahata lui a aussi permis l'utilisation d'un moyen technique élaboré: le stylo numérique (il a gagné énormément de temps, tout en améliorant la qualité du dessin).
Et quand l'homme se résout à ne pas quitter l'île déserte (le thème de la répétition à l'excés -les nombreuses tentatives de l'homme pour quitter la terre ferme- poursuit l’œuvre du cinéaste, rappelant Le moine et le poisson avec le fait que le religieux revient toujours au même endroit pour essayer d'attraper le mammifère) car des forces surnaturelles l'obligent à rester, cette histoire prend la forme d'un conte à la Robinson Crusoë. On trouve une soudaine mélancolie, à la fois naïve et très belle, à partir de la rencontre d'une exceptionnelle beauté entre l'homme et la tortue (le soleil reflète sur sa carapace un blanc d'une clarté sublime). Avec la transformation extraordinaire de la tortue en femme, Dudok de Wit soulève un nouveau thème: l'amour est-il une solution crédible pour le commun des mortels?
Alors certes, on reprochera à ce film l'absence de dialogue (d'abord présents, ils ont été supprimés au fil des années) entre les différents protagonistes (ils sont 2, puis 3...), qui fait que l'expression de leurs sentiments est un peu trop plate, mais la musique en forme pentatonique de Laurent Perez del Mar est assez satisfaisante pour montrer que le cocon familial n'est pas une fatalité en soit. M. Dudok de Wit montre qu'on peut produire un travail d'une extrême qualité sur 10 ans, au moment où beaucoup de cinéastes auraient craqué et jeté l'éponge. Ce film nous montre aussi que le fait d'être à Cannes dans la catégorie "Un certain regard", qui plus est dans l'animation, est un tremplin jouissif. Une ode à la joie réjouissante et dépaysante!

pabs_escobar
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le 14 août 2016

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Pablo  Castillo

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