Il aura suffi d’un plan – le premier – pour me rappeler que j’avais à faire à un film d’Abdelatif Kechiche. Et quand on n’est pas fan du gars et de son cinéma, comme c’est mon cas, eh bien ça devient forcément très dur de se plonger dans son film.


Délit de sale gueule ?
Oh que non ! Je qualifierais plutôt ça de délit de fausse gueule.
Parce que oui, pour moi le problème de ce cinéma c’est qu’il est tout l’inverse de ce qu’il entend afficher.


Dès le premier plan, le film s’annonce épuré, nettoyé de toute fioriture ou artifice, tel un regard cru mais beau sur la réalité. Cette volonté transpire de toutes les scènes qui suivent : petits instants bouffes ; quelques moments fugaces en cours, au bar ou bien dans le bus... La petite conversation anodine, le petit moment du quotidien est filmé avec autant d’importance et d’attention que la scène d’esclandre, l’élément perturbateur ou la grande révélation...
Dans l’idée – et je dis ça en toute honnêteté – je n’ai rien contre et je pourrais clairement être séduit.
Mais comme toujours avec Kechiche, la réalité de son cinéma renvoie à tout autre chose.


Ce film entend capter le réel sans artifice, alors qu’il est un pur fantasme de la réalité filmé avec des artifices grossiers qui finissent par tuer le pouvoir de l’histoire. A chaque plan, il faut qu’il y ait une « Kechicherie », c’est-à-dire une image qui associe la génération nouvelle à la culture des classiques : la beurette, la blonde et le juif qui se relaient pour lire avec passion et intérêt du Marivaux (encore ?) ; le petit rencard où on parle passion littéraire : la phase de séduction où on disserte sur Sartre ; la balade romantique dans un musée de peinture ; le petit repas où on apprend à déguster les bons vieux cépages et les produits du terroir, et même quand on fait un anniversaire de prolos il faut qu’on chante la chanson traditionnellement bien française du « Joyeux anniversaire » !


Oui – je m’en doute – beaucoup diront que j’insiste là sur des choses sur lesquelles personne n’a fait attention, pourtant loin d’être des détails, c’est là tout le cinéma de Kechiche et, le pire, c’est qu’il ne se limite qu'à ça : faire un portrait fantasmé de la société.
Ce film est – une fois de plus – la quintessence du fantasme bourgeois, c’est-à-dire une incarnation de la pensée malrusienne qui consiste à se dire que le peuple n’existe pas, qu’il n’a pas de culture, et que les classes moyennes et populaires sont juste une extension de la classe bourgeoise en plus modeste, puisqu’au fond elles ont toutes la même culture, les mêmes idéaux et les mêmes envies de stabilité sociale et d’art de vivre (même les manifs n’ont pas de revendication sociale chez Kechiche, à croire qu’on gueule contre la privatisation et le manque d’emplois enseignants juste pour s’affirmer intellectuellement ! WTF !)


Et ce qui me dérange vraiment dans cette vision du monde à la Kechiche, c'est qu'elle se traduit dans la forme que prend ce film.
Pas d'artifice dites-vous ? La vérité nue ?
C'est vrai que c'est tellement plus fun quand dans un film on se bouffe trente-huit repas, huit scènes de baise interminables, et quatre-vingt-cinq discussions sur les goûts en termes de culture classique... Les autres en penseront ce qu'ils en voudront, mais moi au bout d'un moment, j'en ai juste ras le cul.
La place du sexe explicite dans ce film est à elle seule un symbole !
Dans un film où tous les personnages font des dissertations en permanence (quelle sensation de réalisme !) on serait en droit de penser qu'un peu de galipettes entre deux jolies nymphettes devienne un moment fort du film, du moins un moment agréable à regarder ! Eh bien même pas. La première minute, je ne dis pas, ça traduit concrètement la passion latente entre les deux jeunes femmes, mais au bout de deux ou trois minutes de cabrioles ça devient clairement vain. Si bien que lorsqu'on s'en retape une deuxième après, puis une troisième... Bah moi j'ai envie de dire : « mais pitié ! Lâchez nous avec ça ! La suite ! »


Seulement voilà, la suite c'est d'autres « instants capturés » comme un autre repas, un autre moment où elle glande dans le bus, ou alors un moment où elle lit à la fenêtre... Ah ça ! Super les instants capturés ! Qu'est-ce que c'est authentique... Mais surtout qu'est-ce que c'est vide !


Alors qu'est-ce qu'on va me répondre à ça ?
Que je suis qu'un gros plouc qui attendait une histoire artificialisée avec un élément perturbateur, des péripéties et une résolution ?
Eh bah oui ! J'attendais ça !
Et pourquoi ?
Parce que ça créé chez moi une dynamique intellectuelle.
Parce que ça fait qu'on ne se barbe pas à regarder le quotidien des autres à nu !
Vous avez déjà kiffé être au restaurant à regarder les clients de la table d'à-côté bouffer leurs huîtres pendant vingt minutes ? Moi non.


Seulement voilà, sieur Kechiche n'est pas là pour faire de l'habituel, du normal, de l'accessible, de l'universel. Lui, il estime qu'il est là pour parler aux gens raffinés. Alors il glose, il suit une progression très didactique et il évente tous les passages qui pourraient plonger le film dans du sentimentalisme trop vulgaire et une narration trop populaire. Alors oui, on garde des minutes entières de bouffage d'huîtres (expression à prendre dans le sens que vous souhaitez) mais par contre on va zapper des années entières durant lesquelles la petite Adèle a dû affirmer son homosexualité face à ses parents (oh ! En voilà un artifice de narration pas grossier du tout ! C'est beau le cinéma prétendument épuré de Kechiche non ?). Je ne sais pas vous mais moi je n'aurais pas forcément établi le même ordre de priorité. Mais c'est vrai... Si c'est le cas, c'est parce que je suis un petit prolétaire qui a besoin d'intrigue pour qu'on le tienne éveillé.
Je ne fais pas partie de la classe « in » qui sait passer outre tous ces artifices de bas-étages.


Eh bien soit, c'est vrai. je ne suis pas un bobo, et les trips de bobos fermés sur eux-mêmes finalement ne m'intéressent pas.
Alors amis bourgeois, allez-y ! Extasiez-vous !
Restez entre-vous pour mieux vous palucher secrètement devant vos deux actrices qui se touchent, car au final, ce n'est plus moi qui vais venir pour vous déranger...
A chacun sa came.
Pour certains cette « Vie d'Adèle » sera de l'héro pure, et tant mieux pour eux.
Pour moi ce film se rapproche davantage d'un laxatif ou d'un somnifère.
On ne m'y reprendra donc plus...

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le 3 oct. 2017

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