De temps en temps, nous rencontrons des chefs-d'œuvre. Nous n'avons pas besoin d'attendre une heure pour savoir que ce que avons sous les yeux n'est pas n'importe quel film. Tel un coup de foudre que nous aurions pour quelqu'un, les premières images de La Vie d'Adèle fascinent, mais nous ne savons pas encore pourquoi. Alors on se met à devenir curieux, pour découvrir enfin une histoire d'amour aussi belle que déchirante entre deux femmes. Adèle et Emma, deux prénoms qui feront longue date dans l'histoire du cinéma.

Adèle est un personnage fictif à la fois ultra-réaliste et inatteignable, une héroïne à la figure classique mais, avec le cadre dans lequel elle évolue, purement contemporaine. L'actrice est cadrée de très près, constamment. Le battement d'un cil, le filet d'une salive, le mouvement d'une fossette, nous voyons tout, ses forces et ses faiblesses. Avec un regard prenant directement la direction de votre âme, Exarchopoulos ne vous lâche plus pour vous montrer toutes les qualités d'une véritable actrice. Celle qui vous fait oublier qu'elle interprète un rôle. Celle que vous croyez réelle à travers cet écran. Celle qui donne à la caméra tout son être.

Nous avons rarement vu un cinéaste aller aussi loin dans le détail des sentiments. Cette extrême précision à filmer les corps est en même temps surprenante et remarquable. Jamais une telle ambition n'a été donnée à un récit, une sorte d'odyssée intimiste qui secoue le spectateur dans tous les sens du terme. On pleure, mange, jouit et vit avec elle. Là où un réalisateur lambda n'aurait pris que quatre vingt-dix minutes pour filmer cette histoire, Kechiche en prend le double et donne à sa muse une épaisseur prodigieuse. Il prend le temps de tout filmer, des conversations les plus banales aux sujets les plus profonds.

On ne peut parler de La Vie d'Adèle sans évoquer les scènes sexuelles. En étirant à son maximum la durée de sa scène la plus charnelle, Kechiche semble faire un parallèle grandiose. Le cinéaste souhaite en effet mettre à l'épreuve le public, tout comme Adèle est à l'épreuve lors de ce premier acte sexuel avec une femme. Il arrive à saisir l'ineffable et rendre des images totalement sensorielles. Cette œuvre est très physique et célèbre la fête des corps, car la gestuelle est tout aussi importante que le langage. L'artiste opère tel un écrivain, il ajoute ici et là des descriptions à sa protagoniste pour être le plus précis possible. Et à la place des lettres, il choisit un cadre tremblant et une absence totale de musique extradiégétique. Le réalisme peut donc prendre place et son personnage s'inscrire dans une certaine vérité.

La jeunesse, l'art, autrui, tout représente une toile de fond à cette « vie » que nous propose Kechiche. Mais qui est vraiment Adèle ? En apparence, une jeune fille de son temps, plutôt réservée et dévorant les livres. Mais à l'intérieur, elle représente des questions que nous nous posons tous : De quoi et de qui désire t-on vraiment ? D'où l'amour surgit t-il ? Son âge symbolise une transition obligatoire : le terrible passage de l'adolescence à l'adulte. Quelles sont ses véritables envies et comment voit-elle son futur ? Ce sont ces multiples interrogations qui flottent au-dessus de cette narration sans faille, dotée d'une puissance dramatique parfois hors-normes (altercation entre Adèle et Emma).

Qu'importe la polémique qu'il y a eu autour de ce chef-d'œuvre. Cette Palme d'Or est amplement méritée à ce trio qui aura marqué le septième art pour longtemps. La Vie d'Adèle est un film à part qui se démarque des autres par sa folle ambition. Celle d'atteindre la perfection.
Hugo_Harnois_Kr
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le 8 févr. 2014

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Hugo Harnois

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