Dire que je suis allé voir la Vie d’Adèle avec un certain nombre d’a priori est un doux euphémisme… Encore sous le coup de l’agacement que m’avait procuré l’Esquive (et qui m’avait d’ailleurs largement fait fuir La graine et le Mulet et la Venus Noire), je ne m’attendais certainement pas à ce que tout ce qui m’horripilait dans l’Esquive fonctionne ici presque miraculeusement. J’avais encore de Kechiche l’image d’un réalisateur posant sa caméra au milieu d’acteurs amateurs surjouants ou déjouants, d’actrices poseuses et au taux de crédibilité nul (Sarra Forestier pour ne pas la citer, qui n’a d’actrice que l’intitulé de sa page facebook) et délivrant un pseudo-docu maladroit et biaisé.
Kechiche a-t-il affiné sa méthode, allégé son propos ? Est-ce le refus cette fois-ci de céder à toute démagogie qui donne à La vie d’Adèle cette force incontestable?
Toujours est-il que ce film m’a fait découvrir un cinéma naturaliste bouleversant, touchant une certaine vérité. Que l’héroïne soit homosexuelle importe surtout dans la première partie du film, chronique d’une découverte de soi et d’une homosexualité qui amplifie forcément considérablement le trouble adolescent. Mais la vie d’Adèle est bien plus que l’histoire d’un coming out, finalement anecdotique. C’est une fresque intime d’une incroyable acuité, une histoire d’amour passée aux rayons X et qui atteint une forme d’universalité du sentiment amoureux. Dire qu’il est homo ou hétéro n’est pas vraiment pertinent ici, la vie d’Adèle évoquera à chacun quelque chose de familier.
La caméra de Kechiche capte beaucoup de choses simples, de sentiments fugaces, révèle sur le visage de ses actrices le désir, la passion, l’admiration, la cruauté de la trahison. Le réalisateur décoche certains plans d’une grande puissance cinématographique et fortement évocateurs.
Il filme surtout son actrice principale avec voracité et iconise instantanément Adèle Exarchopoulos en héroïne romanesque et charnelle dont la bouche, qu’il scrute en permanence et sous tous les angles, est le symbole évident. Car la Vie d’Adèle est aussi l’avènement spontané d’une extraordinaire actrice, d’une justesse rare et fiévreuse, dont l’intensité électrise le film.
La vie d’Adèle, malgré ses immenses qualités, n’est cependant pas dépourvue de petites mais regrettables scories. Le film s’étire inutilement, et certaines scènes auraient mérité de ne pas passer le stade de la table de montage. Ce défaut est sans doute la conséquence d’un autre, la complaisance parfois trop appuyée avec laquelle Kechiche filme ses actrices, s’attardant parfois lourdement sur les visages, les corps, les silhouettes, appuyant un propos qui n’en avait pas forcément besoin. On pense évidemment aux scènes de sexe qui, si elles sont nécessaires pour illustrer le feu qui habitent les deux jeunes femmes, n’ont franchement aucunement besoin de s’étendre sur près de 10 minutes. On ne reviendra pas sur la polémique qui a entouré la sortie (la fin justifie-t-elle les moyens ?), c’est un autre débat, mais on ne peut totalement occulter que cette insistance toujours à la limite finit par desservir le film.
Ceci étant dit, ces réserves pèsent bien peu au regard de l’incroyable énergie qui parcourt la Vie d’Adèle et de la densité peu commune que cette histoire offre au monde. Et au risque de se répéter, au regard de la divine révélation qu’est Adèle Exarchopoulos.
Oui, la Vie d’Adèle est formidable.

Créée

le 30 mars 2015

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