ATTENTION : Presque l'intégralité de cette critique spoile sans vergogne. Maintenant vous êtes prévenus.
*La vie des autres* est un film qui porte très bien son nom. Le film nous livre une illustration de ce qu’était l’organisation de la Stasi, la police politique de l’Allemagne de l’Est pendant la guerre froide. Le régime était passé maître dans la surveillance des citoyens, notamment par les mises sur écoute, c’est le corps du film.
Le film marque par sa construction. D’abord son thème, celui de la délation comme outil de sureté de l’Etat. Avant les Est-allemands, les Nazis étaient aussi des maîtres de la question. En témoigne la scène d’interrogatoire au début du film, qui joue d’emblée l’analogie entre les deux régimes. Un détenu entre dans la salle d’interrogatoire, Weisler le personnage central du film, l’attend en costume d’officier de la Stasi. L’éclairage très tamisé de la pièce modifie la perception des couleurs, on confond les uniformes gris clairs de la Stasi avec les costumes noirs des SS.
L’éclairage c’est aussi un point clé du film. Il est froid, gris quand on suit les agents de la Stasi. A l’inverse, il est chaud et délicat dans les séquences avec l’artiste George Dreyman. L’éclairage s’uniformise tout au long du film, à mesure que l’étau se resserre sur Dreyman jusqu’à devenir carrément terne après le suicide de Jerska, le mentor de Dreyman.
La mise en scène joue aussi pour beaucoup dans l’impact généré par le film. La construction du cadre est très symétrique et très épurée. C’est joli, mais il manque volontairement quelque chose. La composition du cadre joue sur les nuances de gris, de blanc, de teintes pales… bref, de couleur « soviétiques », la seule fulgurance colorée vient du magazine Der Spiegel avec sa couverture rouge, mais le magazine vient de RFA, ce qui induit un système est-allemand, terne et sans saveur. Cette opposition est/ouest nourrit aussi la mise en scène. La blague sur Honecker montre le climat tendu en Allemagne de l’Est mais ce sont quelques choix qui sont les plus marquants. Quand Weisler pleure après avoir contribué à mettre fin à une affaire de couple entre Dreyman et sa femme, les larmes coulent à gauche de l’écran, symbole que son esprit est passé à l’Ouest. A la fin du film, quand il distribue des coupons de publicité dans les boites à lettres, il va d’immeuble en immeuble en passant de la droite vers la gauche. C’est un symbole de régression sociale certes, mais aussi un moyen de continuer le mouvement qu’il a amorcé tout au long du film. Le seul moment où il accepte de faire le chemin inverse, c’est quand il reconnaît la couverture d’un livre de Dreyman dans la libraire Karl Marx (surprise), ici image de son passé. Tout le film joue sur ces mouvements entre la gauche (l’Ouest) et la droite (l’Est).
Enfin et surtout, La vie des autres est un film qui témoigne d’une époque, trop souvent laissée de côté et relativement mal connue. Il met en image un système pourri, pourtant vitrine du communisme à l’époque de la guerre froide. Le système est malade et se complaît dans ses travers par la mise sur écoute à grande échelle, l’intimidation, son taux de suicides bizarrement jamais rendu public… Le film témoigne de cette époque où l’Etat savait tout de ses concitoyens. La vie des autres c’est la critique d’une époque par ceux qui l’ont vécue.