Avant de voir La gueule que tu mérites, j’avais un rapport volontiers schizophrène avec le cinéma de Miguel Gomes. Il y a d’abord eu Ce cher mois d’août, l’une des plus grandes douches froides de ma vie, puisque dires et rumeurs m’avaient promis une sorte de Rozier / Weerasethakul portugais – J’ai, depuis lors, fait la connaissance de deux films qui m’évoquent un peu de ce que j’en avais rêvé, il s’agit de L’été de Giacomo et plus récemment de Mektoub My Love.


 Sans compter qu’il lui revient le mérite d’avoir persuadé ma femme de ne plus trop m’accompagner lors de mes tentatives cinématographiques aventureuses – Le magnifique Oncle Boonmee, l’année suivante, fit le reste et se contenta de tourner une page – ce qui ne nous empêche pas pour autant de découvrir encore de belles choses ensemble, mais on y réfléchit davantage.
Ce cher mois d’août avait logiquement installé Miguel Gomes très haut dans ma blacklist. Puis il y eut Tabou. Que j’ai rêvé autant que j’ai craint, mais que j’ai instantanément porté au pinacle. Tabou, ce film miraculeux, qui tient sans trop qu’on sache comment, qui casse tout ce qu’on pouvait en attendre, qui te propulse dans un univers dont tu ne veux plus t’échapper. C’est un film d’aventures troublant, un mélodrame sensuel, avec des idées et des folies dans chaque plan. Ma plus belle séance de cinéma après Lumière silencieuse, de Carlos Reygadas.
Entre l’excitation et la fébrilité, l’espoir de retrouver un peu de l’un, la crainte de souffrir comme devant l’autre, j’abordais La gueule que tu mérites, son premier long métrage, dans un état difficilement descriptible.
Ce genre de paragraphe introductif ne présage rien de bon, je pense que tu l’auras compris. Cessons illico tout suspense : Ce fut un calvaire. Pas le même calvaire qu’il y a neuf ans, puisque pas dans une salle de cinéma, déjà, pas accompagné non plus, mais un moment suffisamment douloureux (Quelque part entre du Bozon et du Straub) pour faire remonter à la surface le souvenir de cette atroce séance.
J’ai pourtant aimé les vingt premières minutes, la pluie, ce parc pour enfants, ces monologues entonnés comme dans une comédie musicale, ces déguisements, la fête de l’école, ce personnage malchanceux, son romantisme bigarré. Ce segment théâtral aurait fait un beau court métrage. Mais dès qu’on arpente la forêt j’ai lâché prise : Un second segment fantasmatique, construit comme un conte, avec des chapitres dessinés, des personnages antipathiques et interchangeables (les sept nains, hein) et une voix off prépondérante. Ça devenait brutalement tout ce que je déteste, tout en lui reconnaissant un brillant sens du cadre, une photo majestueuse et de gracieux mouvements de caméra.
Difficile d’en parler davantage, j’y suis resté constamment très loin. Tout m’a échappé. Un jour j’essaierai Les mille et une nuits, promis. En attendant, je vais me contenter de penser que Miguel Gomes et moi ne sommes pas les meilleurs amis du monde. Ses premiers films me font l’effet des derniers films de Dumont. C’est barge, singulier, inventif. Mais c’est aussi chiant, hermétique et mal branlé. Et je vais me contenter de penser que Tabou restera une exception magnifique, ce qui est déjà très bien.
JanosValuska
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le 21 juil. 2018

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