• Souvenez-vous de mon nom : Vincent Harold. Avec cet argent achetez-lui une pierre tombale. Et dites qu'il a été tué par le plus rapide de tous les tireurs.

  • Ce n'est pas vrai.

  • Quoi !

  • Il existe un homme qui a plus de réflexe que vous.

  • De qui s'agit-il ?

  • Vous le trouverez.

  • De qui s'agit-il ?!

  • Vous le trouverez alors que vous ne l'attendrez pas. Vous le trouverez en un lieu qui vous surprendra.

  • Vous n'avez pas pu me voir tirer. Qu'est-ce qui vous autorise à m'dire ça ? Qu'est-ce qui vous autorise à m'dire ça?!

  • On n'a beau se croire le meilleur tireur, on trouve son maître un jour ou l'autre. C'est comme ça et se sera toujours comme ça.



La première balle tue est un western inhabituel s'éloignant des clichées prévisibles à travers une réelle approche psychologique autour des personnages, dans lequel le réalisateur Russel Rouse s'en sort avec les honneurs, pouvant compter sur la fabuleuse incarnation d'un Glenn Ford littéralement habité par son rôle. Techniquement aboutie. La mise en scène du cinéaste présente des mouvements de caméra intéressants, notamment autour des plans mettant en place des duels au pistolet, via une image de qualité. La superbe photographie laissant apparaître des décors intelligemment sélectionnés pour illustrer le propos du récit à travers une tension atmosphérique perceptible alimentée par l'efficace composition musicale d'André Previn. Scénario d'une intelligence sans failles présentant un déroulement dramatique faisant penser dans un premier temps à : "Le Train sifflera 3 fois" pour finalement devenir une antithèse de celui-ci, en montrant des villageoies bien plus soudées autour d'un héros bien plus humain.


Qu'est-ce qu'un héros ? Tel est la question que pose avec cette oeuvre Russel Rouse.


La Première balle tue présente la construction d'un mythe autour d'un véritable expert de la gâchette, rapide et précis possédant un révolver ayant six rayures sur la crosse faisant écho au nombre d'adversaire tué au cours de duels. Une légende du pistolero le plus rapide, qui introduit un véritable as du révolver, adroit et redoutable, qui demeurera un héros aussi longtemps qu'il sera le plus rapide. Un fondement descriptif que Sergio Leone et bien d'autres cinéastes (avant et après lui) ont pleinement soutenue avec des héros implacables, n'ayant peur de personne, souriant devant la mort et sans la moindre conséquence. Un schéma du héros conventionnel et traditionnel du western, qui mystifie les personnages, que va démanteler le réalisateur en proposant une déconstruction des mythes et des icônes.


Ayant conscience que le sujet fut déjà à l'époque (bien avant les westerns spaghetti) fort exploré et exploité, Russel Rouse a voulu démolir cette image en se concentrant sur la personnalité de ces "fameux héros", pour décrire les conditions sociales et mentales en incluant un facteur de peur autour de la réalité d'une fusillade et des conséquences de celle-ci. Une approche intelligente qui prend le spectateur à contre-pied à travers une histoire qui construit un suspense en incorporant de nombreuses leçons de vie, qui progressivement défait cette image du héros indestructible, non pas pour nuire à celui-ci, mais pour s'extirper du mythe afin de prendre une forme beaucoup plus réelle, incluant de lourdes responsabilités.


Le héros de ce film, George Temple dans une ambiguïté avant-coureuse, devient un précurseur des personnages torturés et traumatisés qui s'émancipe du modèle iconique du cowboy westernien. Imprégné d'une peur fiévreuse dont il est impossible de se soustraire, faisant écho au cercle sans fin d'une violence acclamé et jubilé, étant la véritable tragédie du désespoir du genre humain. Avec George Temple, Russel Rouse véhicule l’idée essentielle que la violence engendre la violence dans une spirale perverse dont on ne voit jamais le bout, que la figure emblématique du cowboy westernien ne fait qu'alimenter permettant ainsi un cycle de violence qui jamais ne s'arrêtera, alors que le véritable héros est celui capable d'y mettre un terme une bonne fois pour toutes.




  • Regardez ! Son révolver est coché.

  • En effet. Six fois.

  • Six fois... Incroyable, ça veut dire qu'il a tué six hommes !



Glenn Ford est incroyable dans le rôle de George Temple, un commerçant paisible entouré d'un mystérieux passé. Le comédien livre une bluffante et saisissante performance capable de soutenir à elle seule le film. Glenn Ford véhicule une peur capable de vous paralyser, imprégnant son personnage d'une aura empreint de fatalisme et de désespoir à travers une lâcheté, qui sera au fur et à mesure développée. Jeanne Crain, sous les traits de Dora Temple l'épouse de George, offre une épaule solide au comédien. La comédienne excelle dans le rôle d'une femme forte et indépendante qui soutient son mari profondément imparfait dans l'épreuve. Jeanne Crain représente la lumière, n'étant jamais présentée comme une suiveuse, mais comme la figure solide capable de stabiliser la mentalité fragile de son mari à partir des choix qu'elle lui impose. Un superbe couple, superbement illustré par des jeux de regards saisissants. L'attraction entre les deux est palpable.


Broderick Crawford dans le rôle de Vinnie Harold (Vincent dans le doublage vf), incarne un excellent méchant totalement dépendant de sa condition de meilleur tireur, prisonnier de sa propre flagrance. Vinnie (Vincent) est le digne représentant de la violence emblématique du genre western. Crawford incarne le mythe, là où Ford incarne le réalisme. Les deux bandits qui accompagnent Vinnie : l'excellent et malin John Dehner et le suiveur Noah Beery, amènent un contraste intéressant via des personnalités différentes qui sont bien posées. La relation ambiguë entre Crawford et Dehner est intelligente, conférant à ce groupe une réelle authenticité.


Le casting incarnant les villageois est un véritable défilé de visages familiers du genre avec : J.M. Kerrigan, John Dierkes, Paul Birch, Leif Erickson, Dub Taylor, John Doucette, Rhys Williams, Chubby Johnson, Walter Coy... Je terminerai par Russ Tamblyn qui nous offre une danse acrobatique particulièrement survolté. Le développement des habitants du village ainsi que leur réaction fantasmé devant les particularités hors pair de tireur d'un George Temple décidément mal compris, jusqu'à l'explication finale avec la prise de décision dans l'église, tiennent du génie absolu. Une séquence anthologique, appuyée par quelques autres comme avec la scène d'ouverture qui commence sur un duel entre Vinnie et Fallon un autre as de la gâchette, le chapitre où George révèle son talent de tireur dans le saloon, le duel final, et bien d'autres encore que je vous invite à découvrir.


CONCLUSION :


La Première balle tue est un western que l'on pense avoir vu mille fois et qui pourtant nous prend tout du long à contre-pied via les choix intelligents d'un scénario qui n'a pas fini de nous surprendre. Une oeuvre profondément intelligente mise en scène par un Russel Rouse bien inspiré, qui a sublimé son long-métrage par une distribution sans failles pouvant compter sur l'incroyable performance de Glenn Ford, ainsi que de sa compagne de film : Jeanne Crain, qui forme avec celui-ci un des plus beaux couples du genre.


Une revisite des figures mythiques et iconiques qui mérite son pesant de plombs.




  • George, je t'aime et je t'aimerai toujours. Un jour, si tu réussis à te dominer, je serai là. Mais en attendant, je ne veux plus entendre parler de toi.

  • Dora, ne laisse pas ça nous détruire.

  • Tu jetteras le révolver ? Maintenant ?

  • Ce n'est pas...

  • Tu vois. Tu tiens plus à ton révolver qu'à moi, ou qu'à ton enfant ! Le plus affreux, c'est que tu ne t'en libèreras qu'en la cochant d'une septième entaille. Adieu, George. Je prierai pour toi. Très fort.


Créée

le 26 déc. 2020

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