Lac aux dames
5.8
Lac aux dames

Film de Marc Allégret (1934)

Des maillots de bain, des filles et des yodleurs.

Lac aux dames est un étrange petit film français de 1934, tout de même réalisé par Marc ALLEGRET (1900-1973; réalisateur entre autre de Zouzou, 1934 avec Jean GABIN et Joséphine BAKER, Sans famille, 1934, En effeuillant la Marguerite, 1956 avec Brigitte BARDOT et Les parisiennes, 1962 avec Catherine DENEUVE et Johnny HALLYDAY).


Eric (Jean-Pierre AUMONT) est un jeune ingénieur sans argent qui arrive dans la station balnéaire tyrollienne du Lac aux Dames (lac de Constance) pour gagner quelque argent en tant que beau et sportif maître-nageur pendant la saison estivale.
Au cour de son séjour, il rencontre et fréquente alternativement Danny et sa soeur, filles d'un riche notable local (Michel SIMON), une sorte d'aventurière dévergondée d'origine slave Anika (Illa MEERY) et un petite sauvageonne, femme-enfant, fille d'un seigneur isolé de l'autre côté du lac, Puck (Simone SIMON).
Après de nombreuses péripéties et déboires avec chacune de ces femmes, Eric retrouve sa sérénité et sa santé dans les bras de Danny qui, apparemment, était tout de même la bonne, malgré ses errements sentimentaux précédents.


Le film est étrange car plusieurs tons s'y mélangent: humoristique avec Michel SIMON, dramatique avec ce qui arrive à Eric, romantique voire fantastique dans certains plans avec Simone SIMON et franchement léger avec l'actrice Illa MEERY.
De même, les turpitudes du personnage principal ne sont pas assez mises en valeur, ce qui rend le film et l'histoire plus sombres et sévères que les images elles-mêmes. Ainsi se côtoient de magnifiques plans de montagne, de lac, de paysages, de danses tyroliennes, d'activités estivales et nautiques (d'ailleurs, le film est un véritable témoignage de l'engouement des sports nautiques dans les années 30) et les thèmes sérieux de la pauvreté et du dénuement.


De plus sont présentés tous les questionnements sur l'amour, les relations amoureuses, sentimentales et amicales. Mais avec un traitement et une évolution scénaristique surprenants et parfois difficiles à suivre.
Par exemple, la première rencontre d'Eric avec le personnage de Simone SIMON est très travaillée: rencontre de nuit, dans le brouillard du lac, Puck la jeune fille apparait comme une silhouette fantomatique sur une barque mystérieuse. Puis, le couple semble se créer naturellement: lui dormant sur ses genoux, elle regardant au loin et rêvant. Plus loin, elle le mord pour signifier son attachement physique et viscéral. Enfin, le père de Puck arrivant pour bénir le couple. Les plans sont larges et magnifiquement éclairés. Nous sommes ici dans une ambiance visuelle et scénaristique rappelant le réalisme poétique ou un certain expressionnisme romantique.
Il en est de même de leur deuxième rencontre dans une grange, au milieu d'une réserve d'avoine, au cour de laquelle ils s'embrassent, sous les yeux du père encore une fois. Mais là où le père était bienveillant précédemment, il leur intime ici sans raison de ne plus se voir, et Eric s'y tient docilement. Certes, on apprend que dans son enfance, Puck enterrait ses poupées dans l'avoine, mais est-ce un comportement irresponsable ou supposant éveiller une quelconque défiance de la part du père ou d'Eric? Voila une étrangeté du film.


A contrario, Danny est montrée comme jalouse et sa scène de "reconnaissance" avec Eric est un simple plan moyen d'eux ensemble en haut d'un plongeoir où ils décident de se marier. Il n'y a pas d'emphase ou de mise en scène soulignant l'importance de leur relation.
De même, cette séquence est suivi de la demande en mariage auprès du père de Danny, joué par Michel SIMON. Nous assistons alors à une véritable scène comique et cocasse. Le père, bien occupé à fermer une valise trop volumineuse, refuse finalement le mariage sous prétexte qu'Eric s'est fait voler son invention de cinématographe non combustible. L'associé d'Eric, un certain Mayer, se serait enfui aux États-Unis et serait ainsi à l'origine de la MGM (Métro-Goldwyn-Mayer)! Voila encore un ressort dramatique cocasse et original. Et surtout, quel est la signification de la présence de Louis B. MAYER dans le film?


Enfin, citons l'apparition météorique de Illa MEERY en slave dévergondée et exubérante qui harcèle Eric de sa camaraderie envahissante et se balade véritablement seins nus face caméra au court d'une scène vaudevillesque. Nous sommes effectivement en 1934, le code Hays (appliqué aux États-Unis de 1934 à 1966) ou toute autre censure morale ne semble pas encore s'appliquer. Pour preuve, seins nus dans un lit, à aucun moment, le personnage de Anika n'a le geste conventionnel de tenir le drap sur sa poitrine. Il ne s'agit pas d'un oubli ou d'une erreur de tournage, cela semble juste naturel et être un ressort comique gratuit.


Le film regorge ainsi de petits détails saugrenus qui brouillent la réception exacte du thème de l'amour véritable, au delà des difficultés et distractions; comme une éducation sentimentale.
Sous cet angle sérieux, le personnage de Putch apparait comme un ange gardien ingénu et extérieur au monde (elle vit seule dans une cabane et ne profite pas des luxueuses réceptions de sa mère). Elle se présente elle-même comme un être qui vient au secours des autres. Elle sauve effectivement Eric de la noyade et réuni le couple à la fin en sacrifiant son propre amour. C'est bien comme cela qu'elle est présentée à la fin du film: seule sur sa barque, silhouette fantastique s'éloignant du village, comme une dame du lac arthurien ou une dame du Rhin des mythes germaniques et autrichiens.


Mal équilibré dans son traitement des tons, Lac aux dames est un petit film plus cocasse et surprenant que romantique et féérique.

Créée

le 2 mai 2020

Critique lue 427 fois

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