Le continent Africain à rarement les honneurs du palmarès des grands festivals mondiaux. Au mieux se contente t'il de quelques sélections quand ceux-ci daignent bien vouloir regarder au-delà du célèbre triptyque Europe-Amérique du nord-Asie. Le meilleur exemple en est "Timbuktu", reparti bredouille de Cannes l'an dernier alors qu'il faisait parti des grands favoris pour la récompense suprême et que certains bruits de couloir lui auraient volontiers décerner le prix de la mise en scène. Il est contraignant que cette partie du monde ne puisse faire valoir ses belles qualités artistiques car elle recèle pourtant quelques grands cinéastes, passés ou présents. Souleymane Cissé recevra bien un prix du jury sur la Cote D'Azur voici quelques années, de même que son homologue tchadien Mahamat Saleh Haroun plus récemment. Mais cela représente bien peu face à l'effervescence constante de l'ancienne colonie. Il ne s'agit pas de l'honorer juste pour cause de bonne conscience nouvellement acquise ou par repentance envers un passé difficile, ce serait une erreur encore plus blessante. Cette terre recèle assez de talents pour ne pas lui en faire l'affront.


Voyez ce "Lamb" de Yared Zeleke, tout droit venu D'Ethiopie et dont la présence dans la section Un Certain Regard cette année dans le plus grand festival du monde augurait l'espoir d'une belle surprise en fin de compétition. Que nous raconte t'il, ce nouveau venu dans le paysage cinématographique africain? la touchante histoire d'un petit garçon qui vit avec son père depuis sa mère est décédée dans une triste circonstance. Sa particularité est qu'il possède une brebis qu'il promène partout ou il passe, de sorte que cette étrange compagne puisse figurer habilement son errance. Le paternel, élégant homme de peu, n'est plus en mesure d'élever son fils car il doit trouver du travail en ville pour subvenir à ses besoins. Il confie ce dernier à son oncle, un paysan robuste qui cultive ses champs pour nourrir sa grande descendance. La douceur du premier contraste largement avec la sécheresse du second, pour qui le compromis s'avère non négociable. Sous ce nouvel hospice, Ephraim devra se plier à de nouvelles règles et tenter de préserver ce qu'il lui reste d'innocence. Schématisé à ce point, nous pourrions croire à un éternel parcours initiatique ou la bonté humaine triompherait de toutes les turpitudes. Ce serait dévaloriser un film en tout point remarquable.


Le prénom de notre héros ne doit certainement rien au hasard, qui comme les tribuns qui partirent rejoindre la future Nation Juive, s'en va parcourir un pèlerinage biblique fortement symbolique. Il croisera sur son chemin quantités d'épreuves qui, loin de lui faire rebrousser la route, n'en révélerons que bien plus sa maturité. C'est cette traversée dans les superbes paysages arides de l'est africain qu'il nous est donné de partager avec lui. Rien n'est plus politique qu'un cinéma qui se défend d'en claironner son message tout en l'affichant subtilement par le biais d'images précises. Yared Lembeke fait mine de se situer à hauteur d'enfants, ce qu'il fait par ailleurs merveilleusement, pour mieux embrasser la situation ethnographique de son pays. Le village traditionnel du nouvel entrant est coloré des possibles contradictions d'une contrée qui ne veut pas oublier ses origines fondatrices mais n'oublie pas d'enjamber la marche de la modernité à grand pas. Tandis que les anciens perpétuent ces valeurs de labeur, les jeunes enfants rêvent d'un ailleurs ou le savoir se substituerait à cet ancrage. Le très beau personnage d'adolescente éclairée pour qui les journaux sont source d'apprentissage ne dit pas autre chose, tiraillée entre la compassion pour ce nouvel arrivant et son besoin de respirer l'air de la ville. Le maillage représente surement ce que le cinéaste connait de son pays.


S'il n'était que cette brillante étude, le film se suffirait déjà largement à lui-même. Mais il lui appartient d'avoir une ambition autrement plus stimulante, et en cela nous pouvons affirmer sans trop de risques que ce cinéma fait oeuvre d'art essentiel dans notre morne paysage. La picturalité de certains plans est extraordinaire et la typographie des lieux que choisit de filmer l'éthiopien renvoie à une sensation d'évasion. Les quelques panoramiques qui scrutent au loin les montagnes paraissent vertigineux et l'ombre des nuits froides élargissent notre horizon de spectateur. Comment, enfin, ne pas toucher un mot de ces visages touchants qui nous embarquent aisément avec eux. La justesse de jeu de ces acteurs amateurs participe grandement à l'émotion que suscite ce long-métrage. Et l'on ne serait que trop partiaux de ne pas le mettre en avant, eux sans qui une telle pépite n'existerait pas. Que dire de plus?

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le 6 oct. 2015

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