Le western est le genre par excellence de l’archétype, avec des motifs récurrents : des chevauchées fantastiques au beau milieu de paysages immenses et arides, des tirs effrénés qui ricochent autour d’un saloon, des cowboys blancs dont les santiags frôlent le passage d’un serpent à sonnettes, des Peaux Rouges aux visages nobles agrémentés de coiffes en plumes et aux prénoms plus bucoliques les uns que les autres... Tout cela faisait écho à une époque : celle de la construction de l’Ouest américain à la fin du XIXème siècle, où pionniers nordistes, truands et Amérindiens s’affrontaient pour préserver ou conquérir des territoires. Depuis, les cowboys ont remporté la victoire, prenant soin de parquer les Apaches dans des réserves au même titre que du bétail. L’Indien lambda a quitté sa tunique rouge pour revêtir un nouvel archétype : celui du chômeur alcoolique qui tient dans la main une bière, fouillant dans son jean de quoi payer la suivante. Condamné à une marginalité aussi moribonde que sa culture immémoriale, seule une terre menacée le rattache à ses racines, celle qu’évoque le titre du film : LAND. Et cette terre devient pour certains l’ultime recours pour préserver des traditions vouées à disparaître. «Dites-leur qu’il existe des Indiens sobres» assène la noble Mary DenetClaw en guise de slogan de résistance à une marchande d’échoppe qui fait son business sur la vente d’alcool (car les Indiens n’ayant pas le droit de boire à l’intérieur de la réserve, certains Blancs profitent de la situation pour construire des lieux de soûlerie à son entrée). Tout pourrait s’arrêter là. Sauf que le benjamin des DenetClaw meurt au combat en Afghanistan... Le paradoxe est étrange : porter l’étendard de la nation yankee et défendre ses intérêts à l’autre bout du monde quand on fait partie des descendants des derniers Américains natifs, vilipendés par l’Oncle Sam... Le paradoxe est même injuste. Raymond, l’aîné de la fratrie, ne supportera pas ce sacrilège de plus qui lui a cette fois volé son frère. Donnant au film un tournant absolument bouleversant, jouxté par une beauté sublime, lumineuse, bienfaitrice... Et lorsqu’on voit la pancarte « Vous quittez la réserve » pour une dernière fois, on comprend qu’on s’apprête à quitter un film magistral, où au beau milieu de la déliquescence demeure une humanité inflexible – à l’image de cette jeune yankee qui zone à bord de son vélo et se fait l’ange tutélaire des Apaches, balayant d’un revers de la main l’idée d’un mur qui séparerait les peuples.

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le 18 avr. 2018

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