Replongé à l'époque de la Guerre du Vietnam, Gilliam met un nouveau mot sur le style qu'il cultive depuis longtemps : bad trip. Partagé entre Los Angeles et Las Vegas, il dépeint ici la vie délurée d'un duo drogué démuni.
Leur unique bagage est une valise remplie à ras bord d'un vrai kit du petit chimiste en termes de substances illicites. Pourquoi ils en avalent et en sniffent le contenu à longueur de temps ? Gilliam veut nous faire dire que c'est à cause du Vietnam, que c'est une manière d'échapper à la pensée des horreurs qui se passent de l'autre côté de l'océan. Mais c'est aussi un autre monde circulaire qu'il construit au-delà de la politique, car l'objectif du duo n'est jamais que de réparer les erreurs que leur font commettre la drogue.
Plus visuelle et directe, cette dimension récursive s'autoconspuant ne va pas seulement "au cœur du rêve américain" comme le promet le sous-titre du roman, mais au cœur du style du réalisateur, dont c'est le credo de s'ausculter à travers ses œuvres. Il a tenu à ce que le film soit sa vision personnelle et entière d'un ouvrage qu'il n'endommagerait pas, et il concilie très bien les deux.
Ce qui est difficile, c'est d'accéder aux personnages derrière leurs abus. Ces derniers sont remarquablement unilatéraux en ce que rien ne compte que la drogue, là où l'on aurait pu attendre l'argent et le sexe pour compléter la Trinité du Saint-Dollar. Si cette direction unique est un atout en soi, elle oublie le plus souvent de nous accrocher au film et rien ne compense le retour du kitsch derrière des visuels que Gilliam, ironiquement, a dû faire comme d'habitude avec peu de dollars.
Qui sont les personnages, où ils vont, quelle est la morale de l'histoire et qu'est-ce qui va s'ensuivre, rien ne nous le suggère et l'on demeure dans le brouillard d'un bad trip qui manque de quelque chose pour tenir de l'expérimental.
→ Quantième Art