Quand je ferme les yeux et repense à Thomas Edward Lawrence, je sens les dunes de sables, écrasées par le soleil et chaudes comme les seins d’une femme, qui me brûlent les pieds. Je vois la caravane de chameaux, fétu de paille dans l’immensité désertique, émerger de nulle part, telle le désert donnant la vie, avant peut-être de la reprendre. J’entends la symphonie de Maurice Jarre, monter à travers les grains de sable et chanter comme seules les dunes savent le faire. Je goûte l’eau de ce puits perdu, improbable verrue dans la perfection de la peau d’une mer de sable, une eau que j’imagine autant infecte que salutaire. Je respire la brûlure de l'air, poussé dans ces retranchements par ce soleil impitoyable avec la vie, mais généreux avec nos sens.

Je ne saurais dire s’il s’agit là d’une trilogie voulue par son créateur, mais il y a bien pour moi trois films majeurs de David Lean qui forment un tout inaltérable. Je pense bien sûr au Pont De La Rivière Kwaï, au Docteur Jivago et à Lawrence d’Arabie. Trois films qui sont pour moi une parfaite illustration d’un cinéma « total », un cinéma qui n’oublie rien de ce qui compose un film et qui atteint la perfection dans tous les cas. Mise en scène, jeux d’acteurs, narration ou encore musique originale, David Lean a tutoyé les sommets et nous abandonne ses créations, dans l’espoir qu’elles nous enivrent autant qu’elles l’ont enivré.

Lawrence d’Arabie reste associé à mon père, cinéphile exigeant qui s’est toujours ignoré, probablement parce-qu’il n’en a jamais tiré aucune fierté. Je crois qu’il appartient à ces gens pour qui le cinéma de qualité est d’une nature tellement évidente, qu’on peut s’asseoir toute une soirée devant Tant Qu’il Y Aura Des Hommes avec son fils de onze ans, juste parce-que c’est normal. Mes souvenirs s’enfuient un peu plus chaque année et je ne suis plus très sûr d’avoir découvert Lawrence d’Arabie à travers La Dernière Séance d’Eddy Micthell. Mais je sais encore que c’est bien mon père qui m’assis devant notre vieille Phillips noir et blanc, m’invitant à goûter cette soirée qu’il m’avait concoctée.

Encore aujourd’hui, je place ce film tout en haut de ma considération et le cinéphile que mon père a fait de moi, s’investit encore tout entier à chaque fois que le lecteur ce met le DVD sous la langue. Il m’en reste une impression d’ampleur, de respiration pleine et entière, des yeux magnifiquement bleus de Peter O’Toole, de sa peau noircie par le soleil et la poussière. Je le revois encore sonner la charge pour fondre sur Aqaba, secourir un jeune bédouin tombé de son chameau et devancer la mort qui lui fixait rendez-vous. Je n’oublie pas Omar Sharif, d’une beauté fracassante et qui, à l’unisson des autres acteurs, a su effacer la personne devant le personnage, donnant un surcroit d’authenticité à une oeuvre qui n’en manquait pourtant pas.

Lawrence d’Arabie est ce genre de film, ces films qui bordent les yeux de larmes d’émotions, parce-qu’ils sont fulgurants de beauté, des instants privilégiés que la patine du temps rend encore plus aimables. Des films où l’on se retrouve enfant, avec cette faculté d’oublier qu’il s’agit d’une création pour partir à dos de chameau, sentir la morsure du soleil, mourir de soif pour finir, le sourire enfantin aux lèvres, par croire sans aucune doute que tout ce qui se déroule sous nos regards captivés est bien réel. Film total écrivais-je, car autant film historique que film d’aventures, autant film politique que film d’amour, de ces amours passionnées qui n’ont qu’une seule issue : la perdition. La nôtre devant notre volonté de garder un certain recul par rapport à l’œuvre, mais surtout celle de Thomas Edward Lawrence…

Je verrai encore d’innombrables fois Lawrence d’Arabie, devant un écran ou en songes. Je l’apprendrai à mes enfants, je tenterai de faire d’eux des cinéphiles « naturels » comme l’est mon père. Je leur donnerai cet amour de transmettre l’amour pour contribuer, à ma modeste échelle, à faire que ce genre de films atteigne une petite parcelle d’éternité et qu’à travers eux, l’idée de passion ne disparaisse jamais et continue à faire de nous des êtres haïssables (comme à su l’être Thomas Edward Lawrence) autant qu’admirables (comme a su l’être Thomas Edward Lawrence).

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le 20 oct. 2014

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Jambalaya

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