Le jeune Kubrick veut tout dire, veut tout faire (réalisateur, caméraman, monteur) et il a une heure pour le prouver. La trame sera celle d’un film noir, avec ses codes, (un jazz constant, des types un peu figés) auquel il ajoutera un dénouement plutôt guilleret. Convenu, sans grande ambition, le récit semble un prétexte sur lequel vont se greffer les obsessions visuelles de l’apprenti. Tout au plus pourra-t-on remarquer un recours séduisant à la voix off, qu’on retrouvera dans l’Ultime razzia, et un travail sur le récit emboité avec le récit de la jeune femme et sa propre voix pour le relater.
Dès le départ, l’intrigue se fonde sur le vis-à-vis, à l’honneur dans Rear Window l’année précédente. Fenêtres et écrans se multiplient : en parallèle du dancing, le match de boxe crée un écho à deux chorégraphies qui vont converger, la première étape en étant la retransmission télévisuelle du match auquel assiste Gloria. Davey deviendra le voyeur de l’appartement de Gloria lorsqu’elle dort, puis du sien propre lorsque la police vient l’y chercher. Toutes les expériences visuelles se multiplient alors, avec plus ou moins de bonheur : vision à travers un aquarium, verre jeté sur la caméra qui se fend…
Mais c’est dans le rapport des protagonistes aux décors que Kubrick excelle. L’image récurrente des escaliers du dancing, point de fuite barré par l’écriteau « Watch your step » est en cela programmatique. La ville est une impasse, et chaque obstacle peut y faire chuter à tout moment celui qui l’arpente. La poursuite finale, avant le dénouement peu convaincant, alterne entre des extérieurs oppressants et barrés par l’orthonormé (fire escapes, buildings, impasses démesurées) et des intérieurs anxiogènes : entrepôts, ascenseurs, et bien entendu cette fameuse réserves de mannequins. Il est aisé de retrouver ici des ébauches de ce que seront les grands films à venir. Si la forme l’emporte sur le fond, la fascination est réelle et fortement prometteuse.

http://www.senscritique.com/liste/Cycle_Kubrick/507970
Sergent_Pepper
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Plastique et formaliste, Mélo, Gangster, Film dont la ville est un des protagonistes et Vus en 2014

Créée

le 30 juin 2014

Critique lue 1.3K fois

49 j'aime

1 commentaire

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 1.3K fois

49
1

D'autres avis sur Le Baiser du tueur

Le Baiser du tueur
menjartot
6

Une première vraie oeuvre sympathique

Si on excepte le brouillon Fear and Desire (pas désagréable à voir pour autant), Le baiser du tueur est le premier vrai film de Kubrick. On y retrouve déjà tout ce qui fera la renommée du...

le 28 mai 2012

14 j'aime

Le Baiser du tueur
Fatpooper
7

La valse des corps

L'intérêt de ce Killer's Kiss ne réside vraiment pas dans son scénario qui est simplement mauvais. Pour entrer un peu dans les détails, on va dire que c'est inutilement alambiqué et que du coup ça ne...

le 17 mai 2013

13 j'aime

9

Le Baiser du tueur
EIA
4

Fausse note

Il y a dans ce film certains plans qui sont intéressants. Je pense au match de boxe, à la danseuse étoile ou à l'utilisation des miroirs. Plans qui m'ont laissé songeuse, à imaginer ce qu'un film sur...

Par

le 25 sept. 2013

10 j'aime

5

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

765 j'aime

104

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

701 j'aime

54

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

615 j'aime

53