J'ai écrit une histoire cette été. Une histoire sans intérêt, mais qui a tout de même le mérite d'avoir des personnages, une intrigue, un début, une fin et des choses au milieu que je voulais raconter. Principalement pour moi-même, faut pas se mentir.


L'idée n'est pas ici de faire la promotion de cette histoire (ou alors ce serait véritablement habile, voir un peu sournois). Cette histoire amusera peut-être quelques proches dans les mois à venir, mais, dans trois ou quatre ans, ne sera plus lue ni relue que par moi-même. Ce qui est déjà beaucoup.


L'idée de cette critique est de mettre le doigt sur une pensée fugitive, qui n'a presque jamais existée, mais tout de même presque assez pour que je m'en souvienne. Un peu comme le grain de riz de la salière, que l'on a dû voir une fois ou deux, quand on était petit et trop curieux. Sur la fin de mon histoire, je me suis rendu compte à quel point les mots que j'avais devant les yeux étaient contingent. Que les grandes lignes et les ficelles étaient bien définies dans ma tête, mais que les mots eux, les seules stars d'un livre, n'étaient que des concours de circonstances. Que chaque chapitre, bien que prédéfini dans son déroulement, aurait pu être raconté différemment. Aurait pu être pris totalement dans l'autre sens. J'aurais pu le commencer par la fin, j'aurais pu ne pas penser à telle ou telle phrase, j'aurais pu en insérer d'autres si j'avais bien réfléchi. Mes chapitres, lorsqu'ils me plaisent, je les enregistre précipitamment, comme des trésors. Je me les envoie même par mail, au cas où. Parce que je sens à chaque fois une soudaine angoisse. Parce que je sens que s'il se passait quelque chose (bug, vol, combustion électronique spontanée, déluge...), je serais fatalement incapable de reproduire l'ambiance d'un chapitre perdu.


Jusque-là, ces pensées restent plutôt saines (selon moi en tout cas), puisque je suis le créateur de ce que je fige temporairement. Parce que je sais que ces suites de mots ne sont que la vitrine d'un instant privilégié, dans ma conscience, et certainement pas la consécration définitive de mon imaginaire, ou que sais-je. Ce ne sont que des successions de pensées miraculées, qui n'aurait dû faire que passer, pour aller ensuite se dissoudre dans mon inconscient ou mes souvenirs flous, comme le font la plupart de mes pensées. Ce sont des pensées que j'ai réussies à capter un peu aléatoirement, pour tenter de les retranscrire. Du mieux que j'ai pu, c'est vrai. Je me suis appliqué. Mais si je recommençais ce serait peut-être encore meilleur, voire pire. Différent en tout cas, fatalement.


Mais ça se corse, bien entendu. Parce que soudainement, j'ai eu l'intuition que la contingence ne s'arrête pas aux mots, mais s'étend à tout ce qui est créé. Quelque soit le niveau ou le domaine. Que l'on parle d'une œuvre littéraire, d'une actrice, d'un personnage fictif, ça aurait pu se passer complètement différemment, et ça n'aurait pas eu moins de sens. Une fenêtre ouverte, un enfant qui crie dans le jardin, un verre de rouge en trop, et paf ! Harry se retrouve avec un cheveu sur la langue, parce que J.K. Rowling se dit soudainement que c'est une bonne idée.Que ça correspond bien à son caractère. Un choix de vie différent, la bonne rencontre au bon moment qui ne se fait pas, une crise d'appendicite, et paf ! les solos de Jimi Hendrix ne deviennent jamais célèbres. Et peu importe, encore une fois, j'ai envie de dire. Ce qui compte c'est que le solo soit bon non ? Et je me demande, combien de solos aussi bons, de compos aussi tarées, naissent et meurent dans l'anonymat, chaque année, dans les chambres d'ados du monde entier ? Aucune idée, très peu peut-être. Mais je trouve en tout cas l'idée très belle.


À partir de là, l'idée de vouloir figer une actrice en la scannant - comme dans le film dont il est, malgré les apparences, question ici - devient une métaphore. C'est l'idée d'un monde où les choses doivent être étalées, puis fixées, pour prendre de la valeur. Fixées et, si possible, éternelles (à l'échelle de l'humanité en tout cas). Et c'est l'idée que l'on applique cette idée à tout. À nos souvenirs, à nos points de vue, à nos relations, à nos expériences cinématographiques... on prend des photos, on devient fan, on défend des idéologies, on écrit des critiques ... la question est de savoir si on le fait avec humilité, pour s'ouvrir au chaos ambiant, ou si on le fait par vanité, pour réduire le champ des possibles, et se rassurer. Comme une protection, et une couverture, contre nos propres contradictions, et notre propre instabilité. Et contre notre propre incompréhension, peut-être.


Dans mon histoire, ça aurait pu se passer complètement différemment donc. Beaucoup d'idées sont passées au travers de ma conscience comme le grain de riz de la salière devant les petits trous. La question est de savoir le temps qu'on alloue à l'observation de ces idées qui passent, de savoir à quel point on désire être attentif, et d'accepter que beaucoup d'idées dépendent du hasard. C'est un peu comme un stage d'observation en forêt. La curiosité est nécessaire pour que ce soit plaisant. Mais lorsque l'on tombe sur un cerf, ou sur un sanglier dégueux, on n'y est pas pour grand chose. C'est la nature qui se laisse surprendre.


Les stars bâillonnent leur propre support de création. Une actrice, le personnage d'un roman, un chef-d'œuvre.. la matière est ligotée. Édulcorée, caricaturée. Il fut un temps où les auteurs n'avaient même pas de nom. Les stars modernes ne sont que des vitrines. Ne sont que des successions de pensées miraculées et de beautés plus chanceuses que les autres, captées pour être figées. Du mieux possible, ou pas. Peu importe.


Et c'est ce que dit Robin Wright sur l'estrade, lorsqu'elle prend la parole au milieu du congrès. Ce n'est pas juste, pour moi en tout cas, un simple message culcul du type « vous perdez trop de temps à vous focaliser sur les célébrités, croyez un peu plus en vous-même »... Enfin si, ça l'est, mais, à mon sens, ça dit déjà beaucoup de choses. Ça dit que les acteurs, les réalisateurs, les écrivains, peu importe, sont tous soumis aux aléas de leur imagination conditionnelle. Que les univers intérieurs sont mouvants, autant que le monde réel. Que l'idolâtrie artistique, au sein de laquelle on voit l'œuvre comme une fin en soi, est absurde. Une disgrâce aux univers mouvants, que ce soit ceux de l'auteur ou ceux du lecteur/spectateur. Je me dis personnellement que la fascination est suffisante. Le temps de voir l'œuvre pour ce qu'elle est : un plaisir, d'abord. Puis un indice. Pour soi. Et puis c'est tout. Que l'œuvre s'émancipe et se décline, à travers ceux qui la côtoient. Qu'elle se libère de ses chaînes ensuite, quitte à ne pas se reconnaître. C'est tout ce que je lui souhaite. C'est tout ce que je souhaite aux œuvres d'art, et aux personnes qui en jouissent. Sans drogues, si possible.


EDIT : citations arbitraires


« Le sens général de ces réflexions est celui-ci : partant d'une base morale solide, il n'y a rien à craindre d'une plus grande liberté dans le choix des moyens. Et il n'est pas nécessaire que cette liberté se confine autour d'une idée précise, qui orienterait nécessairement vers tel ou tel procédé, mais de faire alors confiance aux solutions qui se présentent spontanément. Bien sûr, il ne s'agit pas pour autant que celles-ci rebutent le spectateur par une complexité excessive. » Page 36, Le temps scellé


page 38 « 20 ans après, aujourd'hui, je reste persuadé d'une chose : si l'auteur est lui-même ému par la nature qu'il a choisie, avec ses souvenirs et ses associations, fussent-ils les plus subjectifs, le spectateur à son tour en percevra une émotion particulière. »


« Du mythe au roman », in L’Origine des manières de table, 1968) :
[Le romancier] recueille les matériaux épars et les remploie comme ils se présentent, non sans percevoir, confusément qu’ils proviennent d’un autre édifice, et qu’ils se feront de plus en plus rares, à mesure que l’entraîne un courant différent de celui qui les tenait rassemblés. (complètement hors-sujet, ah ah SC est mon bloc note)

Vernon79
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le 5 sept. 2017

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