Le Corbeau est un très beau drame français réalisé par Henri-Georges Clouzot, coécrit par Louis Chavance, d'après un fait divers authentique qui s'est déroulé à Tulle de 1917 à 1922 (Une épidémie (bien Française) de 110 lettres anonymes s’était abattu sur le centre-ville de Tulle qui compte à l'époque 13 000 habitants... Par ailleurs, je rappelle la découverte dans les archives allemande de 40 millions de lettres anonymes écrites par les bons Français pendant la seconde guerre mondiale)... qui met en scéne la délation dans un petit village Français... ou les notables reçoivent des lettres anonymes signées « Le corbeau », dont le contenu est calomnieux.... lesquelles ont pour cible le docteur Rémi Germain (joué par le magnifique Pierre Fresnay... qui est l'un de mes acteurs préféré), qui est accusé d'avoir pratiquer l’avortement... ainsi que sur d'autres personnes de la ville.... parmi lesquelles... Le docteur Michel Vorzet (joué par le magnifique Pierre Larquey), doyen de médecine et mari de Laura (jouée par Micheline Francey) l'assistante sociale... Saillens (joué par l'excellent Noël Roquevert), le directeur de l'école, père de Rolande (jouée par Liliane Maigné) la postière... et le frère de la très ambigu Denise (joué par Ginette Leclerc... l'ex femme du Boulanger)... Le docteur Delorme (joué par Antoine Balpêtré), le directeur de l'hôpital... Le docteur Bertrand (joué par Louis Seigner), confrère du docteur Germain.... Bonnevie (joué par l'excellent Jean Brochard), l'économe de l'hôpital et Marie Corbin (jouée par Héléna Manson), une infirmière accusée d’être Le Corbeau...
Le film fut interdit à la Libération. À travers la lettre anonyme, comment ne pas y voir une évocation de la délation, dont on sait qu'elle fut dans les années 1940 une triste réalité ? En outre, le film fut produit par le studio Continental-Films, une compagnie de production allemande. Tout cela donna aux détracteurs de Clouzot du grain à moudre : le film était pour eux un acte de collaboration, tant l'image qu'il donnait des Français était noire. Cette noirceur du film et le portrait sans concession des villageois, parfois emportés par une hystérie collective, frappèrent les spectateurs. À ce titre, le film fut salué comme un chef-d'œuvre à sa sortie en 1943, mais très vite il fut violemment attaqué pour son immoralité et pour cette peinture noire qu'il faisait de la France, servant ainsi la propagande nazie. Georges Sadoul, célèbre critique communiste, écrivit qu'on y voyait l'influence de Mein Kampf. On alla jusqu'à dire qu’il avait été distribué en Allemagne sous le titre « Une petite ville française comme les autres », alors que la Tobis l'avait refusé, à cause de sa noirceur et que le visa d’exportation n'avait jamais été signé (d'un autre côté, Goebbels encouragea la distribution du film à l'étranger).... Mais heureusement que le cinéaste fut défendu vigoureusement par Jacques Becker, Pierre Bost, le coscénariste de Douce et Henri Jeanson, qui écrivit un texte virulent, Cocos contre Corbeau, où il comparait le film à Zola et à Mirbeau. En fait, la lucidité sceptique de Clouzot, qui, avec son coscénariste Louis Chavance, prend parti pour Fresnay contre la délation, déclencha la haine aussi bien des conservateurs religieux de droite que d'une partie de la gauche, qui réclamait des héros positifs et prônait le réalisme socialiste... À la Libération, contrairement à la plupart des autres salariés de la Continental-Films, Clouzot échappa à la prison mais se vit frappé d'une suspension professionnelle à vie. Henri Jeanson écrit à un détracteur de Clouzot : « Mon cher, tu sais bien que Clouzot n'a pas plus été collabo que toi tu n'as été résistant ». Grâce à l'activisme de ses défenseurs, Clouzot revint finalement à la réalisation en 1947, avec un film unanimement salué par le public comme la critique, Quai des Orfèvres... son autre chef d'oeuvre...
Curieux destin que celui du Corbeau, qui met en scène le zèle français de la délation et les effets funèbres de la rumeur, monstre véritable et haletant s’amplifiant de lettre en lettre et de scène en scène.... Le Corbeau s’inspire donc d’un fait divers corrézien de 1922 pour livrer au spectateur de 1943 une sorte de fable morale sans didactisme sur l’obligation d’un peuple à juger ses actes, à revenir sur ses propres démons sans pouvoir les justifier par la présence d’un diable omnipotent. Aucune référence à l’occupation ou à l’occupant n’est évoquée ici : le diable n’est pas étranger, il est dans chacun des personnages, tour à tour victimes, bourreaux, anges et bêtes. Le conte se déroule dans un village lambda -bien que les scènes extérieures aient été tournées en Seine-et-Oise-, maison de poupée trahissant les contradictions les plus universelles, les luttes les plus acharnées entre bien et mal. Oiseau de mauvais augure annonçant la mort prochaine, le corbeau est aussi le délateur qui colporte la rumeur et déterre les passions. Tout comme ce panorama d’ouverture qui, se rapprochant d’un cimetière, n’en sort que pour s’arrêter sur le clocher de l’église du village, les personnages sont cloisonnés, incapables de choisir entre l’ombre et la lumière, malades de leur humanité branlante. Clouzot présente ses différents personnages comme une kyrielle d’âmes perdues : le Dr Germain (Pierre Fresnay), qui refuse de dévoiler son passé, réussit à sauver une mère d’un accouchement difficile, mais pas l’enfant. Son supérieur, le Dr Vorzet (Pierre Layquey) se pique à la morphine. L’infirmière en chef et belle-fille de celui-ci, Marie, lui vole ses doses à l’hôpital tout en accusant sa propre sœur d’infidélité sans aucun fondement. D’autres mentent, comme Denise, l’infirme séductrice, qui prétend tomber malade et se joue du Dr Germain... Le Corbeau est aussi une leçon de la mise en scène de ce flou et du rendu de l’effacement des frontières à l’image (très belle photographie de Nicolas Hayer (le collaborateur de Louis Daquin, Julien Duvivier, Jacques Becker et Jean-Pierre Melville...) par ailleurs)... une œuvre résolument clairvoyante et désespérément humaine... la suite des événements l'a prouvé par ailleurs... réalisé par un grand cinéaste qui aprés L'assassin habite au 21, signe son premier chef d'oeuvre.

Eric31
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le 30 déc. 2015

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