Georges Dupieux : Un style de malade

Unique, étrange et absurde. C’est ainsi que l’on pourrait tenter de résumer, en quelques mots, le cinéma de Quentin Dupieux. Le réalisateur de Wrong, Rubber, Réalité ou encore Au Poste !, sorti l’année dernière, avait le privilège de lancer la Quinzaine des Réalisateurs ce mercredi avec son nouveau film, Le Daim. Un film bien mystérieux, qui s’est enfin dévoilé à nous. Et on peut le dire, Dupieux a encore frappé fort.


Parler de Dupieux, c’est s’exposer au risque d’être trop mécanique, logique et rationnel par rapport à ses véritables intentions. Alors on va tenter de le faire en étant factuel, mais pas trop. La lecture du synopsis, court, synthétique et surtout très vague annonçait déjà la couleur. Comment, ne pas être piqué par la curiosité de découvrir l’histoire de cet homme et de son blouson ? Quel est donc leur fameux projet ? Dès les premières images, qui montrent des jeunes annoncer, en regardant la caméra, jurer ne plus porter de blouson de leur vie, et les jeter dans le coffre d’une voiture, les éclats de rire se font entendre, et on est d’emblée pris de court par cette introduction parfaitement absurde qui nous lance dans ce film à l’ambiance et au ton étrange et hybride. Le décor est planté, il n’y a plus qu’à se laisser aller.


C’est, sans doute, la meilleure chose à faire devant un film de Dupieux, et il vous dirait probablement la même chose. Aussi insensée soit-elle, l’intrigue est d’une cohérence indéniable. L’humour, omniprésent, se base toujours sur l’absurdité des situations et des dialogues, et est d’une efficacité et d’une justesse redoutables. On retrouve cette image un brin grisée, ce côté intemporel et anachronique, comme une volonté d’effacer tous repères logiques et usuels et nous permettre d’encore mieux se laisser happer par cette intrigue déroutante. Mais, là où Le Daim vient particulièrement se distinguer, c’est dans le recul que Dupieux prend son propre cinéma, le mettant en abyme et se mettant presque dans la peau de Georges, véritable alter ego du cinéaste.


Avec son air assez décalé et son petit caméscope numérique, Georges est comme Quentin Dupieux, avec ce côté bricoleur, sans une réelle quête de réflexion ou d’intellectualisation particulière, juste avec son projet en tête, et la simple volonté de réaliser celui-ci. Il n’hésite d’ailleurs pas à clairement exprimer le fait qu’il ne sert à rien de trop analyser ou surinterpréter ses films, notamment au détour d’une réplique où Adèle Haenel commence à vouloir analyser les premiers rushs réalisés par Georges. Un Georges qui va peu a peu se transformer, devenant de plus en plus radical, tendant vers le 100% Daim. La comédie bascule alors progressivement vers l’horreur, offrant encore de grands moments d’absurdité et d’humour.


Digne héritier d’un Réalité, celui auquel il s’apparente le plus dans la filmographie de Quentin Dupieux, Le Daim est un beau coup d’éclat de la part du cinéaste, qui pioche ici dans ses meilleures cartes pour donner vie à ce film d’une délicieuse singularité. On est dans la parfaite association entre le côté « bricolage » du Dupieux débutant, et la maturité acquise à travers la réalisation de tous ses films. Jean Dujardin excelle dans le rôle principal, auquel Dupieux semble s’identifier, pour accompagner cette mise en abyme décapante et hilarante. Pas de doute, Le Daim a un style de malade.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

JKDZ29
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le 16 mai 2019

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