Pendant des années, Quentin Dupieux a raconté l'absurdité de la vie et la relativité du réel en brouillant les frontières entre la réalité et la fiction dans Nonfilm, Rubber, Wrong et Au poste !. Mais c'est avec son film-somme Réalité qu'il synthétisait tout son propos : l'existence est vide, n'a pas de sens, le cinéma et la fiction ne sont pas plus faux qu'elle.


Que dire après quinze ans à tourner autour de ce pot ?


Selon moi, le principal problème de Dupieux est sa tendance à ne pas suffisamment travailler ses scénarios. Il les écrit sans trop y réfléchir - avec une forme d'écriture automatique si j'ai bien saisi ses interviews -, et tourne vite. En résultent des films inégaux, surchargés d'effets et de procédés cachant la misère d'une histoire faible qui s'évertue à vouloir ne rien raconter, et avec des fins souvent ratées. Réalité, projet de longue date, dérogeait positivement à la règle.


Heureusement, l'humour de Dupieux, son propos obsessionnel et sa capacité à créer une ambiance hypnotique, lui ont permis de bâtir une filmographie intrigante, voire importante pour un cinéma français en manque de bonnes comédies et d'originalité.


Dupieux rechigne à assumer le propos de ses récits, persistant à indiquer au spectateur que ce qu'il raconte n'a pas de sens et ne communique rien. Mais raconter que rien n'a de sens, ça a déjà du sens, et la manière de le faire renseigne sur ce qui a débouché sur cette conclusion existentielle.


Le cocaïnomane Freud expliquait justement, entre deux conneries pathologiques, que nous avons des pensées et des actions inconscientes. Même le geste le plus banal a un sens et peut être expliqué. Avec Le Daim, Dupieux commence enfin à dépouiller drastiquement son récit de toute fanfreluche méta, et assume de plus en plus le message que ses films transmettent à sa place.


Il faut suivre le zigoto sur Twitter pour savoir à qui on a à faire. Quentin est un type extrêmement critique, très négatif, et passe son temps à balancer des scuds tous azimuts, entre deux tweets faisant la promotion de sa musique ou de son dernier film.


Un peu misanthrope, un peu mégalo, le Dupieux ? Ça rappelle pas mal George, le personnage de Dujardin, qui part s'isoler loin de la ville pour s'acheter un blouson en daim avec lequel il ne va cesser de s'admirer dans tous les miroirs qui passent ou les images qu'il filme avec son caméscope.


Autre argument d'un rapprochement Quentin-George : Dupieux porte souvent des blousons en daim, et semble aimer les filmer. Sébastien Tellier en portait déjà un dans Nonfilm.


Le personnage de George, énorme connard, coquet, égocentrique, n'hésitant pas à aller dézinguer ces saloperies d'humains pour être le seul à avoir un style de malade, bidouillant une caméra pourrie et lisant un vieux bouquin sur le cinéma pour s'improviser cinéaste, est donc, selon moi, l'avatar de Dupieux.


Sa propre caricature, en version psychopathe, laisse s'exprimer amplement sa haine de l'humain, son nihilisme, et son aigreur vis à vis d'une existence méprisable. "On est tous tout seuls" dit Denise, "l'Enfer, c'est la réalité" disait l'officier Duke de Wrong Cops, "cette existence est beaucoup trop déprimante" disait le voisin du héros de Wrong, avant de partir en voiture vers le néant.


"Regarde-moi ! Filme-moi !" s'écrie George Dupieux avant de se prendre une balle dans la tête. Un suicide cinématographique qui ne pouvait que conclure ce long-métrage autobiographique auto-critique. Le thème du suicide était déjà évoqué sous la forme de gag par le personnage d'OrelSan dans Au poste !. Dans le Daim c'est l'employé de l'hôtel qui se tire dans la face pour ensuite donner, une fois mort et évisagé, l'une des meilleures scènes du film.


En finir, quelle meilleure réponse pour un individu si tourmenté par la laideur et l'ineptie de la vie ?


Dupieux, comme à son habitude, se moque par anticipation de toute tentative d'analyse, dans la scène où Denise essaie d'expliquer les images débiles que George a filmées :
- Le blouson, c'est un peu l'enveloppe qu'on a tous autour de nous pour nous protéger, non ?
- Bah oui, si tu veux.


Alors, analyse mise à part, le Daim m'a beaucoup fait rire, entre la brique dans la face de l'ado épieur, le "t'as dit que tu mettrais plus de blouson de ta vie, j'ai une preuve en image, donc t'es niqué", la découverte du chapeau, ou encore le "j'adore ma vie", l'alchimie entre les gags et les dialogues de Quentin et la bonhomie de Jean fonctionne à merveille.


L'oscarisé Dujardin n'a pas perdu sa maîtrise des personnages débiles OSS 117esques, et le musicien-monteur Mr. Oizo est là pour rythmer à la perfection les scènes drôles.


Comme quoi, c'est parfois d'un terreau névrotique et bizarre que naissent les meilleures comédies, et Dupieux peut se targuer d'être un des réalisateurs comiques les plus prolifiques et performants des années 10.

GiorgiodeRoubaix
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le 23 juin 2019

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