Pour maniaques amateurs de cuir, mais pas que

“Georges, 44 ans, et son blouson, 100% daim, ont un projet. “


Avec son casting de Rolls-Royce du cinéma hexagonal (Jean Dujardin, Adèle Haenel) et son estampillage comédie, Quentin Dupieux est encore parti pour décaper une bonne partie des non-initiés à son cinéma qui franchiront candidement les frontières d’une salle obscure pour tomber dans son univers barré. Le Daim est parfaitement dans la veine de ses précédentes pépites absurdes… toutefois ne fuyez pas, ça pourrait même vous plaire !


Pour les aficionados maintenant, bonne nouvelle, pas de redondance ici. Si le gore hommage au B américain (on pense pas mal à Maniac) peut lorgner sur Rubber ou que le côté “film dans le film” avec Jean Dujardin qui documente sa vie au caméscope rappelle le personnage d’Alain Chabat dans Réalité, ne craignez rien, Le daim a comme un goût de sang neuf grâce à une approche plus minimaliste et minutieuse que jamais. Une bonne partie des scènes ayant été tournées à quatre, Dupieux, Dujardin, un cadreur et un perchman !


Ogre solitaire semblant passer le film en apesanteur, Jean Dujardin occupe 80 % du temps à l’écran. Sa présence inquiétante traversée d’un brin de naïveté évoque les trajectoires mortifères perturbées des héros de Taxi Driver ou Série noire, voire de Harry, un ami qui vous veut du bien avec son cadre montagnard. Son jeu crédible au possible tient ce projet plus épuré que d’habitude. La démarche se différencie immédiatement d’Au poste ! -lettre d’amour à Miller et Blier- qui tenait sur un dialogue quasi-permanent entre ses personnages et une multiplicité de flashback.


Simple mais jamais simpliste, occupé à documenter une performance, le film se transcende par son humour grinçant, décalé, qui évite d’aboutir à un énième thriller auteuriste qui s’étire. 1h17 en plus ça passe vraiment tout seul. Hitchcokien sur les bords, on devine que ça va mal tourner, le quand et le comment nous tenant au siège. On se prend au jeu de suivre cet homme obsédé par son manteau en cuir à franges, un poil trop petit en plus. Réaliste, éloigné de l’imaginaire américain dans lequel se déroulait jusque-là sa filmo, Le daim devient entre deux gags hauts perchés une fascinante étude de la solitude et de la psychose. Dans une épure constante aux tons froids, bois et cuir, aux dialogues rares, il acquiert une ambiance unique cristallisée par son personnage central plus hanté que d’habitude, donc plus mémorable.


S’il ne se réinvente pas, Quentin Dupieux s’affine avec une nouvelle oeuvre absurde, référencée et amoureuse de cinéma, mais en passant du rouleau au pinceau, de la parodie à la finesse apportée par les jeux nuancés de Dujardin et Haenel, tous deux habités d’une folie furieuse muselée, Le daim se hisse au dessus du lot des inimitables comédies existentialistes à la Dupieux.


Destiné à laisser perplexe, donc à irriter pour ça, Le daim demeure un bijou d’épure, de timing dans le jeu et le montage. Cinéma pour cinéphiles sans jamais être élitiste, on est de nouveau sous le charme.

Cinématogrill
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le 18 juin 2019

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