De la clinique du Daim, quelque part entre The Birds et Taxi Driver

Je sors, enfin hier soir, je sortais d'une séance de Le Daim.
Je ne reprendrai pas le synopsis que d’autres auront mieux écrit que moi, et surtout qu’il me parait présenter en lui-même un risque de spoil.
Néanmoins ALERTE : toute ma chronique sera un énorme SPOIL ! Ou pas. Je vous aurai prévenu.
C’est dans un –presque- huis clos à deux personnages que Quentin Dupieux nous fait glisser dans un univers à la Maupassant Le Horla. Mais son écriture nous invite à rire, de tous les rires possibles, à tous les degrés possibles. C’est mon degré de rire que je vous propose ici.
Georges, dont, du prénom, je retiendrai l’aspect « je », double « je » ; et Denise, dont le prénom n’est pas sans évoquer le mécanisme du déni, dans un « se dénier soi-même », elle-même disant ces phrases que je rapporte ici : « remettre dans l’ordre c’est nul » et « être seul à deux ».
C’est un film clinique dans la mesure où nous assistons à l’installation d’une hallucination chez Georges, qui entretient avec son blouson, un dialogue dans un rapport de domination, le blouson lui intimant de donner réalité à son rêve de blouson.
Blouson qu’il est « super excité » de rencontrer.
Ce seul verbe « être super excité » est le seul terme du côté du sexuel, car il n’y en aura plus. D’ailleurs s’il ne dort pas avec son blouson, dès lors que le blouson lui communique son rêve, Georges y fera coller le sien.


Avec sobriété et élégance, le Daim illustre la gravité d’une décompensation à l’inéluctable fin. Il ne nous sert ni diagnostic, ni caméra objective sur le personnage de Georges : Georges est la caméra, l’objet « geste commercial », l’objet secondaire, le en-plus, le en-trop. Le Daim se garde de toute interprétation. Ce que Jean Dujardin répondait avec humour et finesse, lors de l’entretien suivant la projection, chaque fois qu’il lui fût proposé une interprétation : « Et bien c’est exactement ça ».


Comme dans Taxi Driver, le miroir est sollicité, après la décompensation. Le scopique est sollicité par le miroir de la chambre 15, dans lequel Georges contemple le fait de faire un avec son blouson.
Georges passe du registre de la voix, du symbolique, de l’échange tridimensionnel, au registre du scopique, du miroir, mais le miroir qui renvoie un reflet d’un autre, il s’y voit mais ce n’est plus lui mais l’incarnation du blouson, une relation bidimensionnelle, duelle.
Dès lors que Georges perd la voix de sa femme, voix venant lui signifier qu'il n'est rien, qu'il n'existe pas, il jette son téléphone, dernier ombilic avec une certaine humanité, il tombe dans un monde déchu de sa dimension temporelle. Ne reste qu’un espace, et encore ! Tout devient plat, même la mort n'a plus sa vertu d’effroi, d’angoisse : sa fonction de fin.
Ainsi, à aucun moment, on ne se demande ce qu’il advient des corps des victimes. Et seuls sont enterrés les blousons qui leur ont été arrachés.
Tout aussi dépourvue de sens, la manière dont Georges va mourir.
Quant à Denise, si elle sait que l’histoire de Georges est fausse, inventée de toutes pièces, pour ma part, je me demande si pour Georges, il soit si certain qu'il ne croit pas à son histoire. Et cette question restera sans réponse officielle, et c’est très bien comme cela.


Le daim, le blouson est à Quentin Dupieux ce que sont The Birds à Hitchcock. On ne sait pas pourquoi le blouson, et franchement cela n'a aucune importance.


Georges aurait pu tomber dans la paranoïa, dans la première scène du bar, quand il est persuadé que les deux femmes parlent de son blouson. Quentin Dupieux a pris la tangente du bord paranoïaque, c’est là que le basculement s’achève dans l’hallucination.


Enfin, ces images insérées de daims dans la nature, aussi purs que l’âme de Georges est vidée ou totalement emplie, ne sont pas sans évoquer les nuits d’insomnies durant lesquelles il ne reste que les émissions animalières, sans parole, ou juste des commentaires factuels redondants avec ce que l’image montre.


C’est ainsi qu’on se retrouve à l’instar de l'univers de Bertrand Blier dans un film sans temps ni date, sans repère temporel.


Jean Dujardin y est juste et parfait.
Adèle Denise Haenel, moins agressive que d’habitude dans ses rôles, est la zone respirante, respirable de l’affaire.


Ce sont nos interprétations qui nous renseigneront sur notre perception. Et nous aurons chacun l’occasion de nous faire notre film. Et comme toujours, tout ceci n'engage que moi.
Bonne séance !

Créée

le 11 juin 2019

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Agyness-Bowie

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