Le plaisir est dans l'attente

Ovni cinématographique, "Le Désert des Tartares" prend pour objet l'attente. Celle d'un bataillon et du lieutenant Drogo, tenant une citadelle septentrionale d'un pays imaginaire face à un ennemi chimérique attendu depuis des années pour ne pas dire des siècles. Si Antonioni avait été un temps pressenti pour réaliser le film, la réalisation en revient finalement à Valerio Zurlini, discret réalisateur italien mais néanmoins couronné d'un Lion d'or à Venise pour "Journal intime" 14 ans plus tôt. A l'issue du visionnage du film, il n'en demeure pas moins un fantasme pour moi d'imaginer ce qu'aurait pu donner la réalisation de ce film par Antonioni tant la thématique du "vide" si chère à sa filmographie traverse l'adaptation de Zurlini.

Ainsi l'attente est ici le vide. Le vide des soldats face à la répétition des rondes et la froideur bureaucratique des ordres de la hiérarchie militaire. Le vide aussi des paysages désertiques qui entourent la citadelle. A ce titre, soulignons l'incroyable travail de mise en scène, de cadrage et de lumière de l'équipe du film. L'esthétique est léché, et la citadelle de Bam, en Iran, constitue une merveille de cadre naturel au décors du films, renforçant par là l'immersion du spectateur. La variation des ambiances est également à noter, et à ce titre, la séquence enneigée dans les montagnes pour délimiter les frontières est une métaphore du film à lui seul : le vide, l'immensité et la quête d'un mirage. Un huit-clos mi-intérieur, mi-extérieur, dont le vase constituerait l'immensité de cette terre aride et inhospitalière.

Si le film laisse parfois songeur et risque de frustrer de nombreux spectateurs par son faux rythme perpétuel, celui-ci happe par son ambiance crépusculaire des confins du monde et par l'ironie du message qu'il diffuse une fois arrivé à son terme.