Le Faucon maltais, première oeuvre de John Huston, est considéré comme l'un des films noirs qui aurait "normalisé" le genre, mais je trouve que Assurance sur la mort est bien plus approprié pour ce "titre", plus "archétypal" à mon goût. Ils ont en commun l'intention de construire un récit huilé et la présence de la femme fatale. Mais je trouve l'intrigue du premier film bien bancale. Les motivations du détective en charge sont en effet trop nébuleuses, bien qu'unifiées par cette imprévisibilité et cette sauvagerie qui font sa marque de fabrique. Il rentre dans les rouages d'une machination, dont il est tantôt la victime, tantôt le maître des marionnettes, mais sans jamais être inquiété de ce qui lui arrive à lui ou aux autres. Cette froideur, qu'on pourrait appeler cynisme ou professionnalisme, reflète également une histoire mal calibrée, où les réactions des différents protagonistes sonnent souvent fausses ou invraisemblables (par exemple, la manière dont le détective se sort de chaque situation, à mains nues contre un pistolet en un seul coup de poing, ou encore en sauvant la situation en improvisant un alibi aux policiers alors que ces derniers semblaient fortement suspicieux).


Cependant, le tableau n'est pas entièrement "noir". Le récit, malgré de grosses lourdeurs de rythme dû à de trop nombreux dialogues qui vont dans toutes les directions, et des révélations finales qui ont de la peine à expliquer l'incohérence de certains comportements, est tout de même assez mystérieux pour tenir en haleine le spectateur attentif et patient. Ensuite, la personnalité du détective, malgré son aspect monolithique, sans expressions, révèle une complexité parfois fascinante (Humphrey Bogart). Jusqu'à quel point il est impliqué dans cette histoire, le doute demeure jusqu'au final, bien que cette ambiguïté soit préservée de manière un peu maladroite. Car comment est-il possible de garder cette froideur et avoir plusieurs coups à l'avance sans révéler quelques failles de sa part, même si ce comportement est justifiable à la lumière du dénouement, celui-ci étant en fait animé essentiellement par l'argent et la volonté de comprendre ? Cette absence d'émotions a bien sûr un impact sur le rythme, qui ne comporte quasiment aucun pic ou tension. Puis franchement, l'histoire d'amour qui se profile à l'horizon, on n'y croît pas du tout, et ça aurait été mieux que ça reste un motif de manipulation. Enfin, les thèmes de John Huston sont déjà bien là, et pourrait donc intéresser l'amateur du cinéaste : le mystère exotique qui est à la base de ces intrigues et jeux de massacre, la noirceur de la nature humaine flottant dans un vent de suspicion et de mensonges (si bien que jusqu'au bout, il est impossible de déterminer exactement les tenants et aboutissants de chacun), et enfin la déconfiture qui guette les âmes enflammées par la richesse.


Bref, voilà un classique du film noir que je trouve un peu démérité malgré le succès qu'il rencontra en son époque, à cause d'un récit mal équilibré, rarement passionnant, mais pas entièrement mauvais sur le fond. Ce film est aussi un premier essai pour dépeindre la noirceur et l'ambivalence de la nature humaine, précurseur de toute une oeuvre à venir.

Arnaud_Mercadie
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le 3 mai 2017

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Dun

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