C'est avec ce second épisode que je prends enfin la mesure de cette ambitieuse saga feuilletonesque sur les yakuza, qui mériterait plusieurs visions pour l'apprécier totalement. Alors que j'étais en peine de suivre le rythme endiablé de Combat sans code d'honneur, qui ne laissait presque aucun temps mort en risquant d'en laisser certains sur le carreau quant à l'implication de chaque personnage et enjeu, le tempo se calme ici un peu, avec un notable retour en arrière qui reprend une intrigue qui était alors au second plan. Tout cela en gardant la force et l'énergie de cette série, où règnent les luttes intestines balayées par un bordel moral caractéristique (avec toujours un petit problème d'assimilation des noms et rôles de chacun, mais ça se gère mieux). Bref, comme l'implique le titre anglais, qui prend ici tout son sens, l'honneur et l'humanité sont plus que jamais mis au piloris de ces sauvages affrontements, au nom (encore) de la survie des clans, du pouvoir, et de la valeur de l'argent.


Premier constat, ce Deadly fight in Hiroshima est parfaitement complémentaire au premier opus. Laissant un peu de côté les rapports de force économiques et commerciaux, l'intrigue se recentre autour des relations de Shozo Hirono, ancien personnage principal ici mis au second plan, davantage développées, avec une autre dualité passionnante. Celle entre le jeune Yamanaka, co-détenu de Shozo, qui va s'attirer la sympathie d'un boss yakuza influent en suivant (naïvement et effrontément) les codes d'honneur à la lettre, et celle de Katsutoshi (incarné par le démentiel Sonny chiba !), tête brûlée et sadique par-dessus le marché, qui veut asseoir son autorité par le sang. Leurs tractations font le bonheur des boss qui tirent les ficelles d'en haut, les seuls à profiter vraiment de ce petit manège où la valeur du respect ou non des règles change suivant le contexte, et dont l'hypocrisie est encore plus visible en déguisant leurs intérêts en appâtant leurs proies par le sens de l'honneur à accomplir, terminant le processus déshumanisant qui y est à l'oeuvre.


Graphiquement, la ressemblance avec la violence nihiliste des polars américains de l'époque est encore plus évidente, auréolé des mêmes ambiances poisseuses faites de poussière, de transpiration, et de sang, munies une nouvelle fois d'une caméra embarquée rentre-dedans qui ne manque pas de souligner la bestialité des personnages. Au milieu de ce jouissif spectacle digne d'un jeu de stratégie où les plus faibles et les sous-fifres en font les frais, j'ai été captivé par le destin de ces personnages aux antipodes dont j'ai parlé plus haut. Car Shozo Hirono n'est rien de plus qu'un simple humain, en dépit de la légende qui en a fait un subordonné obéissant et bienveillant des intérêts de ses boss et de son clan, ce que Fukasaku s'amuse à défaire avec ironie. En vérité, il représente cette jeunesse d'après-guerre remplie d'espoir qui sera systématiquement réduit à néant. Son humanisme, on le perçoit d'abord à travers sa relation avec le boss, en lui étant sincèrement dévoué, lui qui l'a extrait de son tas de boue. Un acte qu'il prend au premier degré sans se douter de son machiavélisme primaire. Et surtout par sa très touchante histoire amoureuse avec la fille de ce dernier, interprétée par la magnifique Meiko Kaji. Or, ce personnage apporte aussi une dimension supplémentaire à Shozo (et met en lumière son dernier acte aux funérailles), qui aurait pu terminer comme lui s'il n'était pas devenu électron libre par la force des choses (du moins tant qu'il ne meure pas de faim). Tandis qu'ironiquement, son alter-ego est davantage protégé en dépit de ses grands écarts indignes d'un yakuza dans les règles de l'art, car mieux placé dans l'organigramme des intérêts des plus puissants.


Bref, il s'agit là d'un portrait sur la réalité criminelle des yakuza à la fois ironique, acide, parfois drôle, et surtout tragique, qui restitue à merveille la bataille d'intérêts dont il est question, tandis que les îlots d'humanité et de solidarité sévissent ici et là, absorbés finalement par un grand tourbillon nihiliste où l'argent seul compte. Si le spectacle est présent grâce à de jouissifs affrontements avec des personnages hauts en couleur (qui n'évitent pas toujours le surjeu), l'arrière-plan documentaire n'en est pas moins présent, mieux intégré à l'intrigue, et révélant au grand jour les fils dont sont animées les marionnettes (qui prennent les coups à la place de leurs patrons). Par ce jeu ludique et informatif qui broie impitoyablement les individus, Fukasaku frappe donc un grand coup dans le genre (bien qu'on n'évite pas quelques répétitions thématiques et stylistiques), et compense largement mon impression légèrement brouillonne du détail des enjeux.

Arnaud_Mercadie
8
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le 15 avr. 2017

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Dun

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