Si le jury délibère toujours pour trancher s'il s'agit d'une adaptation acceptable du chef d'œuvre politique, drogué et provocateur de William S. Burroughs - puisque David Cronenberg a plutôt utilisé un mix du livre et d'éléments de la biographie de l'auteur pour présenter SA version du travail de création littéraire -, il n'y aucun doute que "le Festin Nu" est un "grand Cronenberg". Car jamais sans doute les mécanismes de la naissance de l'Art et du génie inconscient ne nous avaient été exposés comme ici : Cronenberg nous plonge pendant plus de deux heures dans la psyché - et le trip, vu l'importance de l'usage des drogues dans la vie de Burroughs - d’un écrivain tourmenté, comme personne n’avais encore osé le faire.


C'est que, derrière les apparences d'un sujet plus "ambitieux", les règles du cinéma de Cronenberg n'ont pas changé d'un iota par rapport à ses films "gore" précédents : "no limits", ni à l'intelligence - il faut faire confiance au spectateur pour comprendre -, ni à la pornographie - il s'agit de montrer ce que personne n'a jamais montré. Mais au delà de la puissance traumatisante de l'imaginaire cronenbergien, de la force des métaphores visuelles du film (à travers les métamorphoses de ses machines à écrire, on saisit le grouillement des mots intérieurs, la torture du trou noir, la dissolution de soi...), d'une élégance formelle qui se réfère au cinéma des années 50 (Cronenberg a-t-il demandé à Paul Weller de penser à James Stewart vieillissant pour interpréter son personnage ?), c'est l'horrible brûlure intérieure du sacrifice de la vie pour pouvoir donner naissance à l'œuvre artistique qui nous restera en tête, après une ultime scène bouleversante.


[Critique ré-écrite en 2021, à partir de notes de 1992 et de 1994]

Créée

le 1 févr. 2017

Critique lue 525 fois

11 j'aime

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 525 fois

11

D'autres avis sur Le Festin nu

Le Festin nu
Karaziel
9

La poudre de l’écrivain…

William -Bill- Lee, un ex-Junkie et écrivain frustré, reconverti en exterminateur de cafard, pulvérise une poudre insecticide au creux des meubles lorsqu’il se retrouve à court de substance, la...

le 10 sept. 2014

46 j'aime

Le Festin nu
Citizen-Ced
6

The mechanical centipede

De l'avis général, et de mon humble avis de mec qui n'y connaît pas grand chose, c'est une merveille d'adaptation et de génie cinématographique, et j'avoue que si je notais les films sur leurs...

le 11 oct. 2013

27 j'aime

2

Le Festin nu
Docteur_Jivago
6

Nothing is true, everything is permitted

Suite à des prolifiques (La Mouche, Vidéodrome, Faux-Semblants... ) années 1980 qui lui auront permis de s'installer sur le devant de la scène, David Cronenberg ouvre les années 1990 en adaptant le...

le 14 juil. 2018

19 j'aime

8

Du même critique

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

204 j'aime

150

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

190 j'aime

104

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

184 j'aime

25