Devant ce naufrage de l'intellect que constitue le troisième (et dernier, ouf!) opus du "Hobbit" au cinéma, quiconque veut faire une critique un tant soit peu constructive se trouve bien embêté. Tout le monde ne peut pas transformer la boue en or, contrairement à ce vieux Charles. Heureusement, si Peter Jackson semble avoir oublié d'intégrer autre chose que du fan-service dans son film, il nous fournit deux images qui ont une résonance pour le spectateur, et qui le renvoient à LA question qu'il se pose pendant tout le film:

"Mais qu'est-ce que je fais là?"

Ces deux scènes se trouvent dans la bataille finale du film (vous savez, celle qui commence à la fin du 1er tiers du film et qui duuuuuuuuuuure). La première nous montre des orcs/ gobelins/ trucs verts se ruant sur les remparts, puis s'écartant pour laisser place à un troll/ géant/ gros truc marron, dont la tête est coiffée d'un énorme chapeau en métal, ce qui lui donne l'air singulier d'un requin-marteau. Ce requin-marteau fonce tête baissée (littéralement) sur la muraille, se cogne contre elle; la muraille s'écroule, le requin vacille puis tombe dans les pommes. Les enfants de 5 ans sont en délire ("ha ha ha, c'est rigolo, il s'est cogné la tête et pis après il est tombé, on dirait Vidéogag") et les adultes se regardent d'un air consterné. Alors que mon voisin pousse son 467ème soupir depuis le début du film et que je cherche un moyen de me pendre avec mon écharpe, une pensée me frappe soudain: et si Peter Jackson tentait de nous faire passer un message? Et si, dans un rare instant de lucidité, il avait eu un regard critique sur le film? Ce géant qui fonce droit dans le mur avant de s'écrouler face contre terre, terrassé par le choc et par sa propre stupidité, n'est-ce pas une allégorie du film lui-même? Ou encore de l'ego de Peter Jackson, qui se dit qu'il va pouvoir faire 3 films à partir d'un seul livre de 150 pages, et qu'il ne va pas du tout se faire allumer par les critiques? Ou peut-être est-ce un bon gros doigt d'honneur adressé au spectateur qui a aimé le "Seigneur des Anneaux", et qui s'est jeté sur cette nouvelle trilogie de Peter Jackson, pour être terrassé par la médiocrité et la déception?

-- J'avais interrompu cette critique et en avait oublié jusqu'à l'existence, je l'avoue. Sauf qu'aujourd'hui, en surfant sur la Toile (avec un grand T, comme dans Taurine le Cul-de-Chêne, fils de Vodka-Redbull), je suis tombé sur un article qui disait que le film avait dépassé "Les Gardiens de la Galaxie" et engrangé quelques 781 millions de dollars. J'en suis resté baba. Dans l'accès de fureur qui a suivi, j'ai même failli faire une caricature de Peter Jackson, mais je m'en suis empêché juste à temps. Je me suis donc dit que j'allais continuer cette critique qui, sait-on jamais, saura toucher des gens de bon goût. --

La deuxième scène que Jackson a la bonne idée de fournir à notre analyse est celle de la mort de Thorin l'Inexpressif, fils de Jean Reno et petit-fils de Vocodeur. En fait, même son duel avec Azog est bigrement intéressant. Tout d'abord, on y voit encore une fois l'obsession de Peter Jackson pour les méchants qui ont des masses d'armes/ fléaux d'armes: Sauron avait une masse d'arme, le Roi-Sorcier d'Angmar un énorme fléau, Azog se paye le luxe des deux (dans le Hobbit 1 c'était la masse, et là un parpaing attaché à une chaîne qui fait office de fléau). Si j'étais Freud, je verrai probablement une sombre histoire d'homosexualité refoulée là-dedans (le symbole phallique de l'arme contondante et des coups de boutoir et tout et tout), mais je ne suis pas Freud. Ce qui m'intéresse, moi, c'est la réaction de l'ami Thorin quand son pire ennemi se retrouve, au terme d'une scène absolument pas crédible, à flotter les yeux ouverts sous la glace. Que fait donc l'ami Thorin? Plutôt que de confirmer le kill et de planter son épée de Nain à travers la glace dans le poitrail de l'orque qui, rappelons-le, a encore les yeux ouverts et n'est donc pas "officiellement" mort (hmmmm, enfiiiiiin, peut-être qu'il est mort, je sais paaaas...), Thorin... le suit. Oui oui, il le suit. Il regarde l'orque dans les yeux, et marche en prenant bien garde de rester tout à fait au-dessus de lui, des fois que l'orque voudrait faire un gros doigt d'honneur à la gravité, ressortir de la glace comme par magie et buter Throcon, fils de Crétin. Et tiens, c'est marrant, c'est ce qui arrive!
Au-delà de cette enfilade de décisions absurdes et de facilités scénaristiques, l'attitude finale de Thorin ne peut-elle être pas lue comme celle du spectateur intelligent qui, au terme déjà du premier volet de la "Nouvelle Trilogie", sentait qu'il y avait quelque chose de pourri dans le royaume d'Erebor, mais qui est quand même allé jusqu'au bout du massacre, déboursant une trentaine d'euros en tout pour se taper trois films boursouflés dont il savait très bien qu'ils allaient le décevoir? Ce qui ferait de Thorin une sorte de figure christique, allant sciemment vers sa mort pour libérer enfin le spectateur de cette immonde daube... Une interprétation renforcée par l'intervention de Bilbo qui, dans un grand moment de ridicule, semble se réveiller d'un bad trip et n'arrive qu'à balbutier: "Thoriiiin... Les aiiiiigles... Les aiiiigles, Thoriiiin..." avant de se cacher le visage pour pleurer. Bilbo incarnerait alors la petite part de culpabilité et de réalisme qui reste enfouie au fond de l'âme de Peter Jackson, et les aigles déchirant l'armée ennemie et venant mettre une fin à 6h de torture psychologique seraient les critiques qui ne ratèrent pas leur cible.

Ça, ou alors je sur-interprète.
Ruhenheim
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le 28 déc. 2014

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Ruhenheim

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