Peter Jackson, l’épique cure rien
Pour la première fois de la trilogie, la complexité d’un personnage dépasse enfin les simples archétypes habituels. En effet, selon moi, pour qu’un personnage prenne corps, il faut qu’on puisse s’identifier à lui, c’est un minimum, mais ce que Peter Jackson a du mal à comprendre c’est qu’il faut aussi lui donner des aspérités et du vécu. Christopher Nolan et Peter Jackson ont le même défaut : ils ne parviennent pas à donner corps à leurs personnages en dehors des lignes balisées de leurs scénarios trop bien ficelés. Dans la nomenclature « nolanienne » et « jacksonnienne », chaque péripétie et chaque événement arrivant à un personnage doivent forcément avoir une utilité dans le scénario. Or, d’une part il n’y a aucune loi qui n’interdisse de faire respirer son histoire en lui insufflant un peu de folie et, d’autre part, c’est bien souvent en intégrant des digressions dans son histoire qu’on parvient à créer des instants de vie. Ces derniers deviennent parfois des instants de vérité enrichissant le caractère des personnages et permettant au spectateur de s’identifier à eux.
Les meilleurs moments de Le Hobbit : La Bataille des Cinq Armée sont regroupés dans la bataille finale. Ici, tout le savoir-faire du réalisateur se déploie. Un exemple : lorsque des trolls géants se défoncent la tête pour emboutir la forteresse. Etourdis un instant, ils finissent par se relever et s’introduisent dans la forteresse. L’image de ces colosses étourdis parterre est à la fois tordante et surprenante.
Et alors me direz-vous ? Et alors, dans ce film les moments de batailles sont phagocytés par de longs duels inutiles avec des personnages qui sont, de surcroît, des pièces rapportées : Legolas, Tauriel… Ces batailles sont en plus dénaturées par le numérique qui gâche vraiment toute la magie de ces scènes pourtant bien filmées. À l’époque de la trilogie de l’anneau, les effets numériques n’étaient pas omniprésents et il y avait encore des figurants pour donner corps au récit. Maintenant, les armées entières sont créées numériquement. Le sang a disparu depuis belle lurette et les idées de mise en scène se sont réduites comme peau de chagrin.
Et oui, le sang a disparu et Peter Jackson lui-même ni croît plus. Alors oui, il est toujours aussi bon dans l’épique, dans le grandiloquent, c’est pour cela que la bataille est réussi. Mais, tel un aveu d’échec, il entrecoupe ces scènes de duels longs, inutiles et inconsistants entre des personnages dont tout le monde se moque : Legolas (mais rappelez-moi que fait-il dans ce film ?), Tauriel (après Sawyer, elle s’amourache d’un nain, sérieux ?) et ce Bolg dont la modélisation numérique est pour le moins raté.
Il est temps de se poser la réelle question : quand va-t-on laisser le numérique là où il doit rester c’est-à-dire en périphérie d’un film. Je m’explique : si on regarde à nouveau Avatar aujourd’hui, rien à dire, ce film est une pure merveille sur le plan esthétique même si les effets numériques ont vieilli. Pourquoi ? Car le film est bon, repose sur un scénario cohérent et déploie un univers esthétique honorable. En sommes, on se moque bien de savoir si Avatar est fait en tout numérique.
Au contraire, Peter Jackson a tout misé sur la technique : d’abord la 3D et ensuite la HFR (hight frame rate). Qu’est-ce qu’on nous a rebattu les oreilles avec ces fameuses 48 images/seconde. Et résultat : une image digne des séries TV telles que Docteur Who ! Est-ce véritablement une avancée ? Doit-on aller toujours plus loin dans la recherche de « réalisme » alors que l’on sait très bien en réalité qu’on s’en éloigne avec le tout numérique ?