[Cette critique est une critique de la trilogie entière du Hobbit et non réellement de cet épisode en particulier. De fait, pour un projet si cohérent, qui se suit parfaitement, tourné en une fois, avec le même réalisateur, je pense qu’il est difficile de juger l’un des opus seul, et du même coup je m’excuse pour la longueur inévitable.]


Revoir la trilogie du Hobbit avec la même saveur de défi que représente le marathon Seigneur des Anneaux versions longues annuel avec camarades et pizzas se teinte, lors de la première fois, d’une légère appréhension. On se demande ce que valent finalement ces films que l’on n’a pas revu depuis plusieurs années désormais, les uns à la suite des autres, en versions longues, alors qu’ils ont été très décriés et qu’en tant que jeune esprit influençable on doute de son esprit encore plus jeune et encore plus influençable de l’époque. Mais c’est rassurée que je peux confirmer que la trilogie du Hobbit se mange sans faim, et, j’ai même pu apprécier d’autant plus les deux derniers volets qui s’avèrent de la même qualité que le premier.


Le Hobbit, c’est l’adaptation d’une fable écrite par J.R.R Tolkien près de douze ans avant les Seigneur des Anneaux, étalée sur trois films qui font presque trois heures (au point que le dernier paraisse finalement « court » - même en version longue – malgré ses bonnes 2 h 30). La blague habituelle est évidemment de miser sur la cupidité de ce bon vieux Peter Jackson, pressé de s’en mettre plein les poches pour les années à venir. Jackson veut plus d’argent, peut-être, je ne le connais pas assez pour le nier et prouver sa pure bonne foi. Mais je peux quand même affirmer qu’il n’est pas uniquement le glouton de dollars dont on aime se moquer à coup de memes, puisqu’il ne faut pas oublier que le Hobbit est un projet de très longue date, pré-Seigneur des Anneaux, voulu dès 1995. C’est avant tout un petit rêve vieux d’un peu moins de vingt ans que le réalisateur a toujours voulu concrétiser, puisqu’initialement, la trilogie premièrement adaptée l’a été en attendant d’avoir les droits du petit bouquin. Le procès d’intention envers ce réalisateur me paraît dès lors bien cruel, surtout qu’il suffit de regarder quelques making-off pour voir qu’il aime ce qu’il fait et qu’il s’amuse – et qu’il est quand même résolument attachant avec ses cheveux jamais coiffés qui semblent commencer leur chute.


Peter Jackson est un réalisateur que je considère comme éminemment généreux. Cette qualité un peu fallacieuse qu’on aime attribuer aux œuvres ou artistes me rebute un peu moi aussi, mais force est de constater que lorsque je pense à l’œuvre de ce cinéaste, c’est le premier adjectif qui me vient en tête. Jackson aime le cinéma en tant qu’art, évidemment, mais aussi en tant que spectacle, n’oubliant pas l’aspect complètement immense que peut atteindre le média. C’est pour ça que Les Feebles est un spectacle complètement exacerbé, que BrainDead utilise des litres et des litres de faux-sang, ou que les Seigneur des Anneaux sont gigantesques dans leur longueur ou dans leur ambition. Il aime s’approprier l’aspect technique du cinéma qui semble être pour lui très important – et je ne réfute pas cette idée pour un art dont beaucoup de révolutions dépendent de progrès techniques dans une certaine mesure (son, couleur, numérique…) – puisqu’il a un véritable attrait envers les effets spéciaux depuis son plus jeune âge, où il reproduisait des trucages à la Ray Harryhausen, et que sa saga la plus aimée est aussi un bouleversement de ce point de vue avec notre grand Gollum, créature de synthèse sur mouvement de l’acteur que même les plus réticents à la CGI se surprennent à accepter. Le Hobbit se lance à corps perdu dans des défis d’ordre aussi technique : le double d’images par seconde est ajouté à un tournage 3D surplombé d’une qualité 5K. Cette démonstration de grosse caméra s’avère audacieuse et questionne quelques conventions – le résultat controversé n’enlève aucune noblesse à cette tentative puisque les tâtonnements sont toujours intéressants, et il faut essayer pour bousculer. Cette trilogie plonge bien plus à corps perdu dans la confiture effets spéciaux que ne le faisait son aînée pour un résultat beaucoup moins réaliste. L’étalonnage est beaucoup plus saturé, la Comté est verte pomme, les ciels roses, violets, oranges, les nuits bleues marines, les lumières chaudement dorées. C’est une ambiance plus chatoyante qui teinte d’azur les rochers de la caverne de ce nouveau Gollum aux yeux bien plus céruléens pour s’accorder, on l’a déjà bien dit, à l’univers de la fable. L’histoire ne se déroule pas sous nos yeux, elle est racontée rétrospectivement par un Bilbo qui a pris goût à sa figure d’aventurier dans son village, à son statut de conteur et d’iconoclaste. Le voyage est embelli par ce récit après coup et cela touche son esthétique même, irréelle, enfantine (les gobelins aux formes amusantes n’ont plus rien à voir avec les terreurs de la Moria) et colorée. Le contrecoup est que quelques images sont dès lors parfois un peu laides, trop exagérées et flirtant avec un kitsch certain – les animaux que soigne Radagast font terriblement Disney. Mais Jackson sait créer de l’exaltation : des travelings spectaculaires traversent les films pour magnifier la Nouvelle-Zélande ou les décors. C’est avec ces maquettes, ces paysages, que la caméra joue le mieux, composant les personnages dans des lieux somptueux, illuminés d’aurores étincelantes. Pour chaque lieu, par l’architecture, les colorimétries, ou les rapports de taille dans l’espace, Jackson instaure une véritable ambiance toujours différente. La Montagne Solitaire est trop grande pour les nains, trop désordonnée et verdâtre pour paraître saine, tandis que Lacville, tout en vieux bois grouillant sur une eau glacée montre d’emblée le retard des Hommes et la misère environnante. Comme dans un conte, le lieu est déterminant sur les caractères.


La dimension fablesque du projet n’est pas que visuelle mais bien aussi narrative. A nouveau, rappelons que l’histoire est racontée a posteriori, alors cela justifie immédiatement les chutes mortelles qui ne cassent qu’un ongle. On est typiquement dans le genre de récit mythologique qui avec le prétexte d’une trame principale ajoute pleins de petites histoires annexes. Fan service ou volonté d’exploiter un matériau qu’il adule, Peter Jackson ne répondra jamais à cette question, mais tant que c’est bien intégré, penchons pour la seconde option. L’ajout des chansons dans cet univers léger est plus que bienvenu, surtout que certaines sont franchement jolies. Si l’aventure avec les araignées passe très bien, de même pour la génialissime rencontre avec Gollum, il est dommage que certaines greffes ne prennent pas (citons à nouveau ce Radagast qui soigne des bébêtes). Il semblerait que Peter Jackson soit bien plus intéressé par Thorin que par Bilbo, ce qui explique la nette disparition de son point de vue dans les volets deux et trois. Si ce revirement est à regretter puisqu’il rompt avec le titre, il est soigné par le fait que Bilbo garde un rôle clé même s’il n’est pas omniprésent : il est au centre de la scène fantastique avec Smaug dans le second opus, sauve les nains à maintes reprises, et décide du destin de l’Arkenstone à l’aube de la bataille des cinq armées. L’interprétation très juste de Martin Freeman tout en mimique et ordre britannique donne une véritable saveur au peureux Hobbit plus téméraire qu’il ne le croyait. Il est placé souvent dans l’habit du spectateur qui découvre tout et cela se traduit inévitablement par un certain effacement qui n’est pas si douloureux car Thorin s’avère être un personnage plutôt intéressant. Ambigu, torturé, il oscille entre le détestable et le touchant, roi déchu et dépossédé, atteint malgré lui de la névrose familiale. Son tracé psychologique est de loin le plus abouti de la trilogie avec celui de Bilbo dont les quelques influences de l’anneau le rendant menteur et possessif se font déjà sentir. Le rôle des elfes est beaucoup plus appuyé avec l’apparition de Legolas et la création de Tauriel. Pour le blondinet, il y a un véritable coup marketing autour de son retour, mais cette trilogie permet de donner une véritable épaisseur au personnage qui avant d’être le noble et le beaucoup trop fort archer que l’on connait, était aussi un petit con un peu égocentrique qui s’est fait briser le cœur par notre chère Tauriel. Peter Jackson semble avoir toujours été un peu frustré du peu de cas fait des personnages féminins dans les livres de Tolkien : dans les Seigneur des Anneaux, il leur a donc donné beaucoup plus de consistance, notamment et surtout à Arwen qui a un rôle bien plus important dans les films et qu’il voulait initialement intégrer à la bataille du gouffre de Helm avant de reculer de peur de froisser les fans. En ce sens, la touche féminine Tauriel est assez intéressante dans ce film composé à 98% d’hommes barbus, et elle est plutôt badass au combat. Mais l’exploitation reste un peu trop faiblarde avec une love story pas très convaincante mais qui permet d’intégrer une valeur essentielle à la fable : l’Amour.


Après le visuel, l’histoire, une autre chose que les contes embrassent ce sont certaines valeurs. L’Amour en fait bien souvent parti, toujours assez caricatural mais bien véritable (Thranduil explique à Tauriel que si elle est triste c’est parce que c’était le VRAI Amour). Si l’on met Thorin et Bilbo à part, les personnages sont éminemment manichéens pour porter les qualités de héros chevaleresques : Barde, père de famille désintéressé, vraiment vachement gentil quand même et beau, s’oppose à Alfrid bouffon vénal et égoïste. Il y a, en effet, un rapport à l’Or très enfantin qui s’instaure, puisque la quête de richesse et de possession est toujours synonyme d’erreur : Thorin devient fou, Smaug est méchant, Thranduil perd la noblesse des elfes, rancunier de ne pas avoir récupéré ses gemmes. S’érige ici un rapport bien plus caricatural aux objets, bien différent de celui à l’anneau dans la trilogie à l’esprit plus adulte, entre soif de pouvoir, tentation et esprit détruit – Sam se fait virer par Frodon tandis que c’est le conseil de l’un de ses amis qui assaini Thorin.


La trilogie du Hobbit est une série de films qui ne doit pas être rabaissée au procès de vénalité que l’on fait à Peter Jackson. C’est une trilogie qui embrasse les codes du genre de la fable pour les mêler malgré tout à une véritable volonté d’épique afin de concilier les attentes puériles de certains d’un nouveau Seigneur des Anneaux et l’envie de partir vers un chemin différent, justifiant le film qui ne doit pas être un copier-coller du modèle. Ce mariage un peu forcé, ces ajouts sombres (tout l’arc avec le nécromancien) témoignent d’une peur face à la réception et un manque de confiance flagrant envers la capacité uniquement de conte du Hobbit. Une frayeur qui n’est pas injustifiée à la vue de certains retours se plaignant justement du virage vers la légèreté. Les failles de cette trilogie tiennent dans les fissures de ce fragile équilibre entre la quête du succès public et le changement. Pourtant, il en résulte une œuvre prenante, drôle et réjouissante qui épouse de nouvelles formes visuelles et narratives qui correspondent à l’image frivole et joliment manichéenne que l’on se fait d’une histoire écrite par un vieil Hobbit pour émerveiller les enfants.

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le 27 août 2017

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