Après Les Affranchis et Casino, Martin Scorsese réalise avec Le Loup de Wall Street une nouvelle saga sur les liens entre le crime organisé et l'économie capitaliste.

Tandis que les deux films précédents accompagnaient le parcours de personnages évoluant dans le milieu de la mafia, on suit cette fois l'ascension fulgurante et la chute brutale du jeune trader Jordan Belfort qui crée à la fin des années 80 une société ayant pignon sur rue à Wall Street mais néanmoins spécialisée dans les arnaques boursières. Le film peut être vu comme une suite logique de Casino qui se terminait par la prise en main de Las Vegas par les financiers.

La violence n'est plus dans les règlements de compte sanglants mais dans le darwinisme social et l'aliénation morale induite par l'addiction à l'argent. Des personnages comme Belfort s'avèrent d'autant plus dangereux qu'ils ont la capacité inouïe de renaître de leurs cendres, le charisme et la réussite enveloppant leurs crimes de l'aura du bling bling.

Le ton n'est pas ici celui de la tragédie mais bel et bien celui de la comédie de mœurs et on peut regretter quelques caricatures un peu faciles, dont celle du banquier suisse que joue Jean Dujardin, mais le film n'est pas moins un impressionnant tour de force et une preuve inattendue (pour moi) de la capacité de Scorsese à se renouveler ou plutôt à diversifier son registre dans le type de narrative qu'à mon avis il maîtrise le mieux (la "biographie chorale").

Comme dans tous les grands films de Scorsese, c'est le rythme qui force l'admiration. Tandis que Les Affranchis, film qui comme Le Loup de Wall Street se basait sur une autobiographie réelle, était construit sur l'accélération progressive de la narrative (et de la perception cocaïnée du personnage joué par Ray Liotta), Le Loup de Wall Street suit une progression inverse (des séquences de plus en plus longues et moins découpées) qui culmine dans la séquence anthologique où Di Caprio sous quaalude rampe pour rentrer chez lui. Sauf que, comme je disais précédemment, ce n'est jamais vraiment fini pour lui et il va encore avoir un (plusieurs !) sursauts, cette fois grâce à Popeye (oui, le cartoon !).

L'arythmie est donc au centre du film et cela non pas seulement pour épater à moindres frais les sens du spectateur mais parce que ça correspond à la fois à la schizophrénie chimique de Belfort, aux courbes des cours boursiers (trouvez ça "gros" si vous voulez !) et à la bipolarité de la société et des spectateurs capables à la fois d'envier et de vouloir pendre des types comme Belfort.

D'autre part, plutôt que de rendre hommage aux cinéastes morts ou semi-morts comme dans ses derniers films faiblards, Scorsese choisit ici de citer David Fincher (DiCaprio qui s'adresse au public comme Kevin Spacey dans la série House of Cards ou le délicieux flirt avec Joanna Lumley, la Patsy de AbFab, digression qui rappelle les meilleurs moments de Benjamin Button), les sitcom et les nouvelles comédies (Jonah Hill jouant un personnage qui rappelle le Joe Pesci d'antan tout en apportant un ton nouveau chez le réalisateur), sans parler des clins d'œil aux univers cartoonesques d'un Spike Jonze (qui joue dans le film), des frères Cohen (le personnage de Brad) ou de Gregg Araki... Bref, le réalisateur de Taxi Driver voit aussi des films d'aujourd'hui ! Pour son prochain : un biopic de Jay-Z ?

Et Leonardo DiCaprio ! Hier, j'aurais dit que c'est l'exemple du bon acteur transformiste mais... incompatible avec de très bons films (sauf pour le Titanic). J'ai changé d'avis, c'est un génie !
rafgouv
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le 26 déc. 2013

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rafgouv

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