J'en entends qui disent que Le Moine est un film raté, une fable lourde et grotesque, ringarde et pathétique. Peut-être la tentation est-elle trop forte, peut-être suis-je trop faible, mais je ne peux y résister : j'ai aimé le nouveau film de Dominik Moll.

Adapté du célèbre roman éponyme de Lewis, fleuron de la littérature gothique anglaise, Le Moine narre la chute de Frère Ambrosio (Vincent Cassel), moine charismatique et pourfendeur du Mal dans l'Espagne du XVIIème siècle. Son destin, tragique, lui fait goûter aux interdits qu'il s'est toujours juré de combattre, le jour où un mystérieux jeune homme masqué vient proposer ses services au monastère. Le scénario, en forme de paradoxe, nous présente d'abord Ambrosio comme un homme de foi inflexible, inatteignable, avant de lui faire perdre peu à peu tous ses repères puis sa raison, jusqu'à ce qu'il bascule totalement dans la folie et le péché. L'occasion pour Dominik Moll d'installer une atmosphère oppressante, tranquillement vénéneuse, portée par une photographie de toute beauté mimant les états intérieurs d'Ambrosio. On se laisse ballotter entre la noirceur effrayante des nuits monacales et la blancheur aveuglante des paysages arides de l'Espagne. Ambiance irréelle de rêves éveillés, où se côtoient la sensualité et la mort. Frontière brouillée entre les songes et la réalité. Le monastère d'Ambrosio est un lieu hors du temps, parasitant autant la foi du moine que notre croyance dans la matérialité des images. Tout est ici affaire de duperie, de maquillage, de versatilité, le Mal s'insinuant sournoisement entre les failles mises à nues d'un temple sacré, monastère pour le héros, objet filmique pour le spectateur.

Drapant son récit d'un voile d'incertitudes, Dominik Moll semble se livrer à une relecture gothique de son Harry, un ami qui vous veut du bien. Les nombreuses passerelles entre les deux films les font résonner d'un écho troublant. Le Moine pourrait s'interpréter comme le retour de Harry dans la peau d'un débauché bien plus maléfique qu'il ne paraît, toujours incarné par le toxique Sergi Lopez. Ouvrant et refermant le film, l'acteur espagnol prête ses traits à une forme de tentation absolue et triomphale, un Harry d'outre-tombe, ange noir déchu venu hanter un homme de bien, Ambrosio pouvant s'apparenter au frère éloigné de Michel, jadis incarné par Laurent Lucas, dans la mesure où il se confronte à son alter ego maléfique avant de s'offrir à lui, en lui vendant son âme, en devenant maléfique à son tour. Chronique éternelle d'une passation du Mal. En ce sens, Le Moine de Dominik Moll peut se lire comme la genèse d'Harry un ami qui vous veut du bien. Le cinéaste n'a rien perdu du pouvoir d'évocation de ses images, nous proposant à la fois une clé de relecture de son œuvre et une plongée aussi fascinante que tragique dans l'esprit d'un homme tenté, portée par la formidable composition de Vincent Cassel, qui prouve encore ici qu'il est capable de tout jouer, en s'effaçant derrière la vérité de ses personnages.
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le 23 juil. 2011

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