D'entrée, nous suivons un corps. Véritable Apollon cinquantenaire. Il court dans les bois, torse nu en maillot de bain moulant, suivi par un travelling en plongée, légèrement tremblant mais diablement entraînant. Burt Lancaster pénètre sur le terrain d'une maison avec piscine. Se passant de toutes conventions sociales, il se jette à l'eau immédiatement et embarque avec lui le spectateur dans un plongeon quasi-délirant, l’œuvre de Frank Perry et Sydney Pollack.

"Le plongeon" ou l'étrange métaphore de la vie d'un homme à l'orée de la cinquantaine. Sans intrigue aucune, on découvre de piscines en piscines la vie sociale et intime de Ned Merill. Prétexte suffisant à une mise en scène aux accents érotiques assumés, qui frôle par moments l'hypnotisme d'un spectateur perdu dans ses pensées. Dans les premières minutes, l'obsession pour la nage et l'envie de Ned de partager ce plaisir à tout prix, offrent un comique de dialogue qui navigue dangereusement sur le fleuve de la réplique de films érotiques. "Ça te dirait de piquer une tête?", "Allez, enfile ton maillot, on va nager tous le deux". Avant que l'on comprenne que tout ce qui se rapporte à la piscine où à la nage forme un ensemble générique de sujets de conversation pour convoquer tous les souvenirs de Ned, les personnages de son passé. "Tu te souviens comme on nageait dans notre jeunesse?". La piscine américaine et son autour devient sans surprise le lieu de la séduction, de la reconquête. L'eau dans laquelle se baigne Ned est tantôt chaude et limpide, tantôt malsaine et glaciale, en miroir de ce que lui renvoient ses différents interlocuteurs. Dans tout ce flot de rencontres, il en est une sidérante, à laquelle on ne s'attend pas. Ned dialogue par ordinateur avec une femme qu'il ne connaît pas. Un plongeon vertigineux de plus de quarante ans, à l'heure où la rencontre virtuel est devenue la norme. Sans doute la première que le cinéma ait jamais porté à l'écran. Entre temps, une séquence qu'on croirait sortie d'un montage télévisuel hybride, fait appel à l'imaginaire des J.O. d'été. Elle nous frappe par le pas de côté qu'elle effectue au regard du reste du film, sans que l'on sache s'il faut y voir un sens particulier, ou la maladresse d'un pur plaisir esthétique. A mesure que Ned Merill arpente les piscines qui le séparent de chez lui, le modèle fantasmé de l'American way of life s'effrite à travers les égards méprisants de ses anciens amis. On lui découvre des dettes, et s'il venait naïvement faire ressurgir les bons moments du passé, ses hôtes d'un instant y voient l'occasion de lui rappeler qu'ils sont avant-tout ses créanciers. C'est avec un certain désenchantement que l'on se dirige vers la fin de la promenade. Après avoir égrainé les villas richissimes d'un Los Angeles moulé dans la cire, notre héros pénètre un espace qui tranche avec tout le reste, celui d'une piscine municipale. Voilà qu'il doit se plier aux règles sociales, accepter la loi du nombre et subir la présence des autres, ce qu'il n'a semble-t-il jamais fait de sa vie jusqu'alors. A l'image du personnage en marge qu'a dépeint le film jusque-là. Ned devient un homme de la foule, perdu, un peu dépassé, qui verrait dans la multitude d'enfants qui traversent le champ et lui barre la route, poindre les prémices d'une petite mort.

alanfromvegas
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le 25 juil. 2022

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