The Swimmer est un film proprement HALLUCINANT ! Cette idée, qui tient du concept philosophique, de nager de piscine en piscine pour aller chez soi est surprenant, mais d'une efficacité redoutable. Et l'homme qui parcourt donc la « rivière » de sa vie, jalonnée par les rencontres de son existence, se noie petit à petit dans sa subjectivité, incapable de sortir la tête hors de l'eau et de regarder autour de lui. Pourtant très doux et aux airs de gentleman, il s'enfonce dans des fantasmes qui finissent par entrer en friction avec la réalité, et parfois violemment. C'est d'ailleurs la leçon donnée au petit garçon dans la piscine vide : « Si tu crois suffisamment fort qu'une chose existe, alors elle existe », au risque qu'il y plonge. Totalement dépouillé (il vit en slip de bain), il est contraint de constamment emprunter : les piscines certes, mais aussi des coups à boire (surnommé « pique-assiette »), 10 cents pour une limonade, un crédit de 1000 dollars pour une table (caritative ou de jeu), 1 dollar pour la piscine municipale, sans compter l'argent qu'il doit déjà : « Je vous envoie deux chèques demain ». Sa vie n'est vécue que dans les jardins cultivés par d'autres, si bien que sa propriété est à l'abandon et que la porte de sa propre demeure reste fermée. Il aura vécu comme une grenouille, nageant de nénuphar en nénuphar, mais n'aura jamais rien construit de propre. Si l'on entre nécessairement en empathie avec le personnage de Ned Merrill, il reste néanmoins très ambigüe et ne permet jamais au spectateur de savoir qu'en penser précisément.

Le film est magnifique. La musique, les couleurs, le ton. Même les séquences d'une rare ringardise (sauts d'obstacles, course avec le cheval) arrivent finalement à nous toucher, comme d'ailleurs les fréquentes fautes de raccord et d'étalonnage.

La morale évidente qui consisterait à dire qu'il faut, contre l'illusion et la naïveté, « cultiver notre jardin » (empruntée directement au Candide de Voltaire) est à double tranchant. Car apparait aussi une profonde dérision pour toutes ces propriétés enfilées les une après les autres et où l'on discute filtre à eau, joints et pare-soleil de tracteur-tondeuse. Si Ned arrivera finalement dans une impasse, il apparait être le plus heureux, le plus passionné (« Je suis un aventurier »). Sa vie n'est faite d'aucun bien matériel (hormis donc un slip de bain) mais semble pourtant remplie par l'amour et l'insouciance. Et quand il est moqué dans son projet saugrenu, il convainc la jeune fille blonde de le suivre en affirmant que la vie ne vaut d'être « nagée » que si elle est inattendue.

Je ne sais pas dans quelle mesure le film est adapté de la nouvelle de John Cheever (que je vais d'ailleurs m'empresser de lire !), mais, datant de 1966, il est quasi prophétique. Il est d'abord une peinture réussie de ce dérisoire « american way of life » et du désir de rupture qui va avec d'une frange de la population d'alors. Mais pour autant il annonce aussi l'impasse d'un mode de vie fait d'illusions et de fantasmes. C'est donc un film profondément noir, déjà écrasé entre deux conceptions de la vie qui subsiste jusqu'à aujourd'hui et qui en font en ce sens un film qui cristallise selon moi parfaitement l'impasse dans laquelle se trouve la jeunesse contemporaine.
Homlett
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le 2 févr. 2011

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