Le Port de l’angoisse, voilà un titre qui fait sensation. Pas de film d’horreur à l’horizon, ni de crimes sordides, mais bien un grand classique du film noir, réalisé par Howard Hawks, qui est alors dans sa période la plus prolifique et la plus faste, et qui adapte ici un roman d’Ernest Hemingway.


En 1944, la guerre n’est pas encore terminée, et son spectre hante toujours le monde entier. Après la paranoïa et la peur de l’ennemi à Londres chez Fritz Lang dans Espions sur la Tamise (1944), Hawks nous envoie dans des contrées exotiques, aux Caraïbes, où il ne s’agira pas de vivre d’amour et d’eau fraîche, mais, là aussi, de faire face à l’adversité. La Martinique, territoire français, a beau être à des milliers de kilomètres de la France métropolitaine, les troubles de cette dernière ont également contaminé l’archipel. Là aussi, les sbires du Régime de Vichy épient les résistants et ceux qui tendraient à exprimer un patriotisme un peu trop franco-français pour eux. C’est dans un climat où règne une tension palpable que se déroule Le Port de l’angoisse, où des âmes errantes vont faire face à des épreuves périlleuses.


Howard Hawks nous décrit un port où se retrouvent ceux qui se sont égarés, qui n’ont d’autre place que ce lieu qui ressemblerait presque à une sorte de purgatoire. Harry Morgan est un pêcheur qui a du cœur, mais qui paraît désabusé et détaché du monde qui l’entoure. Son seul compagnon de route est un autre pêcheur ivrogne mais jovial, Eddie, et ce n’est qu’un concours de circonstances et de rencontres qui va le mener à revoir progressivement sa copie. Morgan reste tout de même un personnage avant tout motivé par l’argent et, par extension, par sa propre survie.


S’il accepte d’aider la résistance française, ce n’est pas en priorité pour rendre service à la nation ou pour mettre des bâtons dans les roues d’une police invasive et peu scrupuleuse. En revanche, la situation va faire que l’humanité va prendre peu à peu le pas sur le cynisme et la cupidité. Le Port de l’angoisse raconte, comme la plupart des films noirs, à quel point le hasard et les concours de circonstances peuvent chambouler les destins, mettant notamment en lumière cette romance naissante, et la manière dont un homme désabusé parvient à retrouver un sens à son existence.


Il y a en effet ce pêcheur, mais aussi, et peut-être, surtout, Marie, cette jeune femme charmeuse et ténébreuse. Car Le Port de l’angoisse, c’est aussi l’éclosion de la légende Lauren Bacall, icône de l’époque, qui obtient ici son premier rôle au cinéma et qui à même pas vingt ans donne la réplique et tient tête à Humphrey Bogart, de vingt-cinq ans son aîné. C’est leur relation et son évolution qui constituent le ciment du film de Howard Hawks, et qui fait probablement sa légende, au point de sortir du cadre du cinéma pour se concrétiser dans la vie réelle. C’est un film noir presque romantique que propose Hawks, qui déjoue les mécaniques du genre en ne laissant pas la fatalité tout mener et détruire mais, au contraire, en faisant grandir ses personnages face à l’adversité.


La naissance à l’écran d’un couple légendaire, une ambiance où règnent mystère et paranoïa, voilà ce qui fait, entre autres, la réussite du Port de l’angoisse, et qui l’ont mené à être encore autant estimé aujourd’hui. C’est aussi l’occasion de retrouver Marcel Dalio, digne représentant français au milieu de ce casting de stars américaines. C’est un charme indescriptible qui opère avec ce film, aux qualités trop nombreuses pour ne pas être aimé.


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le 22 nov. 2020

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