"I played the advocate and wrote and directed this film."

Le Procès est une incroyable virée dans un cauchemar qui semble sans fin ni échappatoire possible. Et, à mon humble avis, on aura rarement filmé un cauchemar avec autant de classe et de génie. Orson Welles nous plonge (et contre-plonge) dans un univers semblant dénué de toute logique, régi par l’absurde et le non-sens. C’est cet aspect qui rend l’ensemble du film cauchemardesque et oppressant d’ailleurs, le fait que cette histoire ne s’appuie pas sur un socle réel et qu’elle se déroule dans des décors complètement baroques. On assiste alors aux préparatifs d’un procès fantasmé (et qui n’aura jamais lieu) d’un homme jugé pour des raisons mystérieuses. Ou alors jugé pour le simple crime de vivre dans un système dont il est pourtant un des rouages.


Le film s’attache à représenter plusieurs choses. Celle d’illustrer tout d’abord un système totalement déshumanisé en mettant en exergue toute l’impuissance de l’être humain à lutter contre celui-ci voire tout simplement à le contourner. Et Joseph K. en est un parfait représentant, lui qui dénonce ce système tout en continuant à l’alimenter en y participant activement à son insu. L’errance du personnage dans ces longs labyrinthes bureaucratiques est vraiment saisissante. Je n’ai pu m’empêcher de ressentir une menace permanente, comme un danger qui pouvait survenir d’un instant à l’autre, surtout quand Joseph K. se retrouve confronté à d’autres humains. Et la narration sert parfaitement cette sensation de cauchemar infini. Plus le personnage avance et plus sa situation semble inextricable.


Mais ce climat d’oppression est surtout mis en valeur par l’incroyable travail de mise en scène. Orson Welles était décidément un grand cinéaste qui faisait parler l’image à merveille. Ces plongées suivies de contre-plongées (et inversement) n’en finissent pas de nous faire sentir à l’étroit, comme si la scène se renfermait sur le personnage de Joseph K, lui empêchant toute fuite possible. Rarement j’aurais vu de décors aussi bien mis en valeur. Si l’atmosphère est irréelle et la temporalité impossible à définir, on se repère tout de même dans les limbes de ce cauchemar qui a des lieux reconnaissables. C’est ce qui confère aussi au Procès cette sensation d’impuissance et d’oppression, Joseph K. semble tourner en rond dans cet univers, ce qui le rend complètement angoissant. Et ces plans-séquences sont tellement intenses, contribuent à créer ce sentiment d’errance sans fin. Rien que l’interrogatoire dans la chambre au tout début est hallucinant de maîtrise formelle. Et de prime, la photographie est fabuleuse, sublimant les clairs obscurs comme rarement.


Enfin ce film est également porté par des interprètes géniaux. Anthony Perkins offre une prestation d’anthologie dans le rôle de ce personnage ambigu et toujours plus proche du gouffre qui lui est promis. On retrouve également un Orson Welles toujours aussi imposant et charismatique dans un rôle « d’avocat » sans foi ni loi. Et Romy Schneider apporte cette touche de sensualité, rendant les séquences entre elle et Perkins assez érotisantes, avec une tension sexuelle folle. J’ai vraiment pris une sacrée claque devant ce chef d’œuvre aussi osé que brillant, qui expose avec génie toute la crasse de l’humanité. Une lente glissade vers l’extermination d’un homme menée par un pouvoir inconnu, invisible et pourtant terriblement oppressant. Le Procès est, pour ma part, l’oeuvre la plus aboutie d’Orson Welles.

Moorhuhn
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le 29 juil. 2015

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