« I played the advocate and I wrote and directed this film... my name is Orson Welles. »

Orson Welles, un des plus grands (le plus grand?) réalisateurs de tous les temps, s'attaquant à Franz Kafka, un des plus grands écrivains du XXème siècle et à une de ses œuvres phares: Le Procès, l'histoire de Joseph K.; un jour arrêté par la police et convoqué à son procès sans qu'il sache ce dont il est accusé.

Le sujet est intriguant, le résultat est grandiose.

Le film est une véritable claque visuelle pour l'époque, et il l'est toujours aujourd'hui. Le montage est rythmé, dynamique; Welles nous avait déjà montré avec ses films précédents qu'il maitrisait parfaitement sa caméra, il nous offre ici un de ses films les plus personnels tant il s'est approprié l'œuvre de Kafka, tout en y restant extrêmement fidèle. Le rendu est angoissant, oppressant, Welles joue à fond sur les grandes profondeurs de champ (qui sont en quelque sorte sa "touche" personnelle). Welles a exploité au maximum un des lieux de tournage: la gare d'Orsay à Paris, désaffectée à l'époque. Il nous offre des décors variant du gigantesque (le lieu de travail de K.) au minuscule (l'atelier de Titorelli), avec une netteté d'image rare pour un film des années 60. Le contraste des noirs et blancs est sublime, les ombres évoquent toujours quelque chose au spectateur, et cela rappelle la vague expressionniste allemande des années 20. Le Procès fut volontairement tourné en noir et blanc, alors qu'en 1962, les films en couleurs étaient en plein essor.

Au delà de la forme, le fond du film est très important, Orson Welles nous livre une critique d'un régime plus ou moins totalitaire, le tout dans une ambiance très guerre froide. Il y a des références à l'holocauste, mais aussi à la bombe atomique. Welles a ici supprimé tous les repères chronologiques que le livre pouvait avoir, plus on avance dans le film, plus le film accélère. Du côté des acteurs, outre Welles qui se met en scène lui-même dans le rôle de l'avocat, il y a du beau monde. Anthony Perkins (le célèbre Norman Bates de Psychose) interprète royalement Joseph K., le silhouette grande et fine de l'acteur américain convient parfaitement au personnage. Jeanne Moreau et Romy Schneider tiennent les principaux rôles féminins. Une des scènes les plus marquantes est à la fin, l'avocat projette et commente des images à K. à l'aide d'un rétroprojecteur, il lui explique La Porte de la loi, évoquée en prologue du film. Welles joue avec lui-même et son image, la mise en abîme est telle que le spectateur ne sait plus si il est en face du personnage de l'avocat, du réalisateur ou bien de Welles en tant que personnage, comme on le retrouvera dans d'autres films.

Le Procès est une claque à tous les niveaux, Welles maitrise totalement son sujet, il nous livre ici un chef-d'œuvre, véritable pièce maitresse de sa filmographie. Jamais depuis Citizen Kane il n'avait eu un si grand contrôle sur un film (cf. les déboires avec les studios lors du tournage de La Soif du Mal en 1958). Ce contrôle se ressent dans tout le film, jusqu'au générique de fin, génialissime, durant lequel il rappelle au spectateur que le film est est tiré du roman de Kafka, puis il cite le nom de tous les acteurs. Le Procès se conclut sur l'image de La porte de la loi, vue à travers l'objectif de la caméra, par dessus, la voix nous dit « I played the advocate and I wrote and directed this film... my name is Orson Welles. »

Orson Welles est un génie.
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le 11 déc. 2010

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