À la grâce de défis relevés haut la main, MIchel Hazanavicius est devenu l'un des cinéastes français les plus passionnants à suivre. Qu'il filme un agent secret bouffon, un couple de stars à l'ère du muet ou la guerre de Tchétchénie, c'est d'abord lui-même qu'il met sur la sellette. Le Cinéma comme art de réinvention, une belle idée. Représentée dans sa forme la plus expérimentale par une figure aussi clivante que Jean-Luc Godard.
Voir Hazanavicius s'attaquer à ce gros poisson avait donc de quoi surprendre. Le Redoutable n'a pas besoin de plus de 10 minutes pour balayer les appréhensions. À l'instar d'un Steve Jobs (réalisé par Danny Boyle en 2015) qui n'hésitait pas à amocher l'entrepreneur, le film se refuse à la déférence envers Godard (formidable Louis Garrel). Il prend l'exercice du biopic à rebrousse-poil, enlevant les oripeaux du réalisateur révéré pour dévoiler la fragilité d'un homme incapable de faire la part des choses. D'un autre côté, le biopic multiplie les procédés de mise en scène directement hérités de Godard (intertitres, plans latéraux, séquence en négatif, apartés,...). Cela transforme le portrait à charge (apparent) en une amusante mise en abyme sur le personnage et son cinéma. L'objet et le sujet se répondent mutuellement, merveille de contradiction qui caractérisent la figure de la Nouvelle-Vague.
À son premier niveau de lecture, Le Redoutable dresse une peinture comique d'un artiste à la fois raccord et totalement décalé avec son époque ou ses admirateurs. La plume acérée d'Hazanavicius (basée sur la biographie de Anne Wiazemsky) fait merveille ici, cumulant les scénettes drôles et malaisantes. Toutes sont très signifiantes, puisqu'elles traduisent l'aveuglement de Godard quant à ses ambitions contraires et à son pédantisme (le gimmick des lunettes cassées, assez limpide) sans occulter ses aspects les plus tendres.
Force est de constater qu'il n'y a pas de héros dans le film mais une héroïne. Concentrant toute l'émotion autour de Anne Wiazemsky (Tracy Martin, magnifique), le récit opère un mue dramatique dans son dernier tiers. Car avant d'être le portrait d'un homme, Le Redoutable est la chronique d'un amour perdu, noyé dans une tambouille politico-auteurisante et les postures nébuleuses. On termine le long-métrage comme Wiazemsky, avec le constat amer d'un homme qui voulait rassembler chacun.e mais n'a réussi qu'à s'isoler de tous. En tout cas, c'est la première fois que je vois un bras d'honneur effectué avec autant de respect. Hazanavicius, l'homme le plus classe du monde ?