Revenu en Autriche après avoir rempli les années 1990 de ses expériences cinématographiques, Haneke est resté un vrai cinéaste mais il est devenu un faux puriste : que l'on ne se laisse pas prendre à sa photographie sobre et à ses mises en scène à l'ancienne, car Le Ruban blanc est passé à travers une énorme moulinette d'effets spéciaux pour produire le résultat escompté. D'aucuns y verront l'influence de sa période américaine, mais l'amateur de médias pose en réalité une question essentielle : la manipulation de la forme au service du purisme du fond est-elle hypocrite ?


Cannes a tranché : c'est une Palme d'Or. Cependant le film est en réalité insituable et on le visionne sans avoir jamais à questionner sa forme : années 2010, 2000, 1990 ? Si j'avais eu à deviner sa date de sortie, j'aurais facilement pu me ridiculiser. Ses visages dignes de vieilles photos, son noir et blanc, son attachement direct à la terre, au jour et à la nuit, et enfin au pragmatisme plus ou moins grand de ces villageois qui tentent tant bien que mal d'entretenir la sagesse de leur communauté, tout y est intemporel.


Non seulement on croirait s'être téléporté dans l'époque dont il parle (les années 1910), mais c'est aussi comme si l'on nous avait retiré tout savoir sur ce qui survint alors dans le monde germanophone : on évolue avec un malaise difficile à préciser jusqu'à se rendre compte que c'est la guerre qui gronde au loin, et que cette génération d'enfants qu'on voit grandir mal, comme sous l'influence d'une force obscure et mauvaise, sera celle qui, deux décennies plus tard, participera à figer l'Allemagne (et un peu l'Autriche avec) dans une image tenace de nation pleine de ressentiment et de colère.


Le Ruban blanc, avant d'être une œuvre hypertravaillée et une réflexion sur le "cinéma vrai", est un rappel que l'enfance, quoique symbole de l'innocence, peut aussi être le berceau des pires travers humains. Si Haneke a changé sur la forme, il reste bien lui-même sur le fond, car il garde les mains propres lorsqu'il touche à ce qu'il y a en l'Homme de plus secrètement malsain. Alors, est-il hypocrite de manipuler la forme au service du purisme du fond ? Pas chez lui.


Quantième Art

EowynCwper
6
Écrit par

Créée

le 15 févr. 2021

Critique lue 75 fois

Eowyn Cwper

Écrit par

Critique lue 75 fois

D'autres avis sur Le Ruban blanc

Le Ruban blanc
Matrick82
8

"Ce film c'est de la dynamite" (Alfred Nobel)

*ATTENTION, LA LECTURE DE LA CRITIQUE SUIVANTE PEUT NECESSITER UN MINIMUM DE SECOND DEGRE ET HEURTER LES MINEURS* Françaises, Français, Belges, Belges, SensCritiqueuses, SensCritiqueurs, Salut ma...

le 22 mai 2013

125 j'aime

52

Le Ruban blanc
guyness
8

Mystère austère au presbytère

Putain, on est pas là pour rigoler ! Si vous ne l'avez pas encore vu, soyez éclairés au moins sur ce point: ça va chialer dans les chaumières. On est d'accord, rien ne se prête à la gaudriole à...

le 28 janv. 2012

69 j'aime

9

Le Ruban blanc
Pukhet
10

Prémices horrifiques

Michael Haneke l'a dit lui-même : «Le Ruban Blanc est un film contre tous les extrémismes. » bit.ly/RQbkdc Et ici, l'illustration est faite de l'Allemagne à l'aube de la Première Guerre Mondiale,...

le 11 nov. 2012

48 j'aime

3

Du même critique

Ne coupez pas !
EowynCwper
10

Du pur génie, un cours de cinéma drôle et magnifique

Quand on m’a contacté pour me proposer de voir le film en avant-première, je suis parti avec de gros préjugés : je ne suis pas un grand fan du cinéma japonais, et encore moins de films d’horreur. En...

le 25 oct. 2018

8 j'aime

La Forêt sombre
EowynCwper
3

Critique de La Forêt sombre par Eowyn Cwper

(Pour un maximum d'éléments de contexte, voyez ma critique du premier tome.) Liu Cixin signe une ouverture qui a du mal à renouer avec son style, ce qui est le premier signe avant-coureur d'une...

le 16 juil. 2018

8 j'aime

1

Mélancolie ouvrière
EowynCwper
3

Le non-échec quand il est marqué du sceau de la télé

Si vous entendez dire qu'il y a Cluzet dans ce téléfilm, c'est vrai, mais attention, fiez-vous plutôt à l'affiche car son rôle n'est pas grand. L'œuvre est aussi modeste que son sujet ; Ledoyen porte...

le 25 août 2018

7 j'aime

3