Le teckel, ou l’art de faire un film à hauteur de chien, tout en ne parlant que de l’homme. Le cinéaste américain Todd Solondz attaque son sujet de prédilection, les scories de la société, et plus précisément de la société américaine, à l’aide d’un « liant » qui est beaucoup plus qu’un prétexte : Le Teckel, « Wiener dog » ou « la Saucisse » de son petit nom.


Renouant avec le format du film à sketches, Todd Solondz met en scène 4 histoires différentes, plus un entracte hilarant, faisant intervenir le petit toutou, et une ballade en son honneur, que Johnny Cash n’aurait pas reniée...
Après un prologue où Wiener dog est déposée (le toutou est une toutoute) dans une animalerie par son propriétaire, une séquence réussie du chef opérateur Ed Lachman (Carol) qui montre parfaitement le désarroi du toutou dans un monde soudain devenu hostile et effrayant, le film s’ouvre sur une première histoire, celle de Rémi (Keaton Nigel Cooke), un enfant qui récupère d’un cancer récent et à qui ses parents (Tracy Letts et Julie Delpy) ont offert un chien qu’ils exècrent à titre de réconfort. Claquemurés dans leur villa de bobos où pas un poil ne dépasse, et pas une âme ne semble vivre, à part celle de Rémi, ces parents entrent de plain-pied dans le vif du sujet du cinéaste : la méchanceté, presque le vice tapis au fond de chacun, comme les insultes diverses et variées que le père fait pleuvoir sur le chien lors de leurs sorties (« Heel, Motherfucker ! »), comme le racisme affiché de la mère, ou encore ses réponses angoissantes et définitives à son petit garçon, inquiet par une soudaine maladie de la chienne (ou par sa propre maladie, qui sait) : après avoir annoncé à Rémi l’inéluctabilité de la mort, celui-ci part à la pêche d’une petite touche d’espoir (« mais Dieu, alors ? »). Espoir qu’elle balaie par un « Nous ne croyons pas en Dieu », suivi d’une contre-attaque du jeune homme « mais en quoi croyons-nous, alors ? », avant la boucle finale d’un « Nous allons tous mourir ». Pas exactement ce qu’on attend de la mère d’un enfant leucémique …


La deuxième histoire n’est pas en reste dans la morosité et la noirceur, celle de Dawn Wiener (Greta Gerwig, idéale pour le rôle), devenue (jeune) adulte, celle-là même de Bienvenue dans l’âge ingrat (interprétée alors pour ses débuts au cinéma par Heather Matarazzo -the L word, Greys anatomy, Roseanne-), aussi mal dégrossie que lors de son adolescence, et dont le surnom Wiener Dog est le titre original que Solondz a donné à ce nouveau film, le Teckel. Semblant constamment hors du cadre, elle rencontrera de nouveau le Brandon de son enfance (joué cette fois-ci par Kieran Culkin), grâce au teckel. Sur le mode du road-movie, cette partie du film est la plus ambiguë, car à la fois la plus porteuse d’espoir dans le genre humain, mais également celle qui développe un cynisme des plus effarants (le discours quasi-eugéniste d’un des personnages sur la parentalité (im)possible d’un couple de jeunes trisomiques en est par exemple une illustration édifiante).


Ainsi se poursuit Le Teckel, parsemé de l’humour noir et grinçant du cinéaste, parcourant un triste cycle de la vie, de l’enfance du premier protagoniste (Rémi), à la jeunesse triste de Dawn, puis à la maturité douloureuse de Dave Schmerz (Danny de Vito), et enfin à la vieillesse de Nana, l’héroïne du dernier segment (Ellen Burstyn), un cycle qui boucle sur les visions de la vieille dame malade et en fin de vie, de toutes les petites filles mortes dans l’œuf et qui ne sont jamais devenues la personne qu’elle est devenue, une très belle séquence d’Ed Lachman dont les tons automnaux rappellent tout à fait ce qui nous plaît tant dans l’esthétique des films de Todd Haynes. Même si les deux derniers segments (Dave &Nana) s’échappent du scénario, puisque le cinéaste ne s’embarrasse plus de montrer au spectateur comment les protagonistes sont entrés en possession du fameux teckel, un parti pris assez dommageable, il faut bien le dire, ce choix de personnages à différentes étapes de leur vie contribue à donner la cohérence nécessaire.


Les détracteurs de Todd Solondz ont du grain à moudre avec ce nouveau film si peu différent des précédents : âpre, provocateur, et misanthrope en apparence. Exactement les mêmes raisons qui vont convaincre ceux qui n’aiment pas les films lisses et/ou consensuels, ni les happy ends. Car dans Le Teckel, le spectateur trouvera de vraies matières à réflexion quant au sens de la vie, vue ainsi sous l’inéluctable spectre de notre propre mortalité, humains et animaux confondus. Il y trouvera la gravité d’une condition humaine caractérisée par la solitude, que même la présence d’un teckel n’arrivera pas à gommer. Comme pour les films précédents du cinéaste, il y fera l’expérience de rencontrer des personnages très loin d’être parfaits, mais qu’il nous livre sans jugement de valeur. Des personnages auxquels on pourrait s’identifier, en somme, des miroirs pas faciles à regarder et qui expliquent pourquoi il est si difficile à beaucoup de les regarder en face…Ainsi faut-il courir voir le Teckel, imparfait comme nous, mais plein de vie. Comme nous.


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Bea_Dls
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le 17 nov. 2016

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Bea Dls

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