L'élégance proustienne au service du Septième Art
Aidé par son co-scénariste Gilles Taurand, Raoul Ruiz réussit le pari de mouvoir les mots de Marcel Proust en de sublimes images.
Remarqué au dernier Festival de Cannes où il était présenté en Compétition Officielle, « Le Temps retrouvé » ne se contente pas d'être une illustration du dernier tome de « A la recherche du temps perdu », il est une totale mise en image de l'écriture proustienne. Et même si ce cher Marcel a déjà fait suer plus d'un gymnasien par ses phrases interminables quasiment dénuées de toute ponctuation, le film de Raoul Ruiz se voit sans connaître l'œuvre du romancier français.
Le film débute dans la chambre de Proust. Sur son lit de mort, il feuillette des photos en se remémorant sa vie. Le décor bouge subtilement, et il se retrouve quelques années plus tôt. Comme sa vie n'a de sens que dans la réalité de son œuvre, cette dernière défile devant ses yeux. Il se retrouve dans la position d'un spectateur privilégié, comme un cinéaste qui voit pour la première fois son film terminé. Il est inutile de s'attarder sur le scénario très fidèlement adapté par Gilles Taurand et Raoul Ruiz, mais la mise en scène mérite que l'on s'y arrête.
Jusqu'à présent rares sont les cinéaste qui ont réussi d'adapter à leur univers faits de sons et d'images celui de Proust constitué de mots. Certes il existe bien « Un amour de Swann » plus ou moins heureux, grâce surtout un casting étonnant confrontant Alain Delon et Jeremy Irons entre autres. Ruiz s'offre, lui aussi une distribution en or brut. Chez les dames, on y croise Catherine Deneuve, Emmanuelle Béart, Marie-France Pisier, Chiara Mastroianni, Arielle Dombasle, Edith Scob, Elsa Zylberstein, Dominique Labourier, Mathilde Seigner, Hélène Surgère, Monique Melinand et Laurence Fevrier. Côté messieurs, on retrouve avec plaisir Vincent Pérez, John Malkovich, Pascal Greggory, Marcello Mazzarella, Christian Vadim, Philippe Morier-Genoud, Melvil Poupaud, Jacques Pieiller, André Engel, Georges Du Fresne, Jean-François Balmer et Patrice Chéreau dans la voix de Marcel Proust. Ce maelström international est le premier ingrédient à cette réussite. Viennent ensuite une photo somptueusement picturale deRicardo Aronovich, des costumes de rêves signés Gabriella Pescucci (fidèle collaboratrice de Martin Scorsese) et Caroline de Vivaise et une musique rappelant à merveille les salons dans lesquels déambulent les protagonistes composée par Jorge Arriagada. Et Raoul Ruiz orchestre tout ce beau monde sans ne jamais privilégier personne. Chaque minute de son film est constituée de tous ces éléments. Ici aucun numéro d'acteur ne relègue la technique au second plan et vice-versa. Tout est dosé au même pourcentage.
Le cinéaste d'origine chilienne porte un regard sur les gens. Il observe ce microcosme bourgeois, mais ne le juge jamais. Ses thèmes de prédilection trouvent leur place : il évoque la mort, la décadence et le vieillissement en faisant ressurgir des images du passé. Il utilise magistralement le fondu enchaîné sonore et visuel pour mettre en pratique cinématographique la fameuse théorie de la Madeleine de Proust. Le bruit d'une cuillère contre une assiette se superpose à celui d'un marteau contre l'essieu d'une roue de locomotive qui renvoie lui à un autre train évadé de la mémoire de l'auteur.
