Le Tigre Blanc
6.4
Le Tigre Blanc

Film de Ramin Bahrani (2021)

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Si l’on pouvait trouver une certaine satisfaction dans son « 99 Homes », avant de trébucher sur une piètre relecture du célèbre roman de Bradbury, « Fahrenheit 451 », Ramin Bahrani passe sans doute de nouveau à côté de son sujet, loin d’être inintéressant. En adaptant le roman éponyme d’Aravind Adiga, il pensait pouvoir servir au mieux les enjeux d’une œuvre qui met en avant la quête de liberté d’un homme, mais au détour de sa découverte du monde qui l’entoure que cela devient plus passionnant et plus pertinent dans les propos. À l’heure où la suprématie américaine dans la mondialisation commence sans doute à saturer par moments, l’Asie entrevoit sa propre révolution sur le modèle occidental afin de préserver cette inertie, bénéfique aux plus grands opportunistes. Et c’est bien là que l’on déclenche tous les débats, en éparpillant divers enjeux sociétaux et moraux, à l’image du film qui n’hésite pas à multiplier ses registres afin de justifier la réussite d’un héros, parti des champs et régnant finalement au-delà des codes qui l’asservissaient.


Né dans les ténèbres, Balram Halwai (Adarsh Gourav) ne demeure pas moins des plus lucides et curieux quant au désir de vouloir changer sa condition. Il mène une petite guerre à la fois contre sa famille et ses employeurs, qui cultivent évidemment un modèle conservateur, bridant ainsi tout espoir de mobilité sociale, mais le zèle du personnage, ainsi que sa bienveillance naïve, lui ouvrent malgré tout des portes plus que prestigieuses, malgré son appartenance à une classe sociale délaissée et constamment piétiner par tous les pouvoirs. Cette fatalité supplante tout de même la rêverie d’un Balram penseur, nostalgique et qui se questionne sans cesse, remettant en cause la légitimité de sa liberté même. Cette narration, fortement convenue, ne laisse qu’une voix-off prétendre que sa condamnation à la réussite devrait stimuler les hautes autorités. Mais c’est au crochet du capitalisme et d’une bonne dose d’individualisme que la réalité sociale et économique se transmet à l’image, simplement par une description qui sonne creux. Nous n’avions nul besoin que l’on nous cite ouvertement un roman qui aura tout pour plaire, mais qui aura tout à perdre dans une transposition qui ne se donne pas l’effort de conjuguer l’âme et le corps du support littéraire.


Nous y trouvons malgré tous les bons ingrédients afin de pimenter l’expérience interactive du projet, qui s’égare trop longtemps dans son exposition, multipliant et superposant ses exemples, à côté du montage qui aligne maladroitement le fossé économique qui tourmente un des pays les plus peuplés du monde. Mais ce qui irrite davantage, c’est bien évidemment le traitement de sa seconde partie, dans la lignée d’une révolte qui n’a ni le temps de s’épanouir, ni d’inspirer la motivation afin de rompre les chaînes invisibles de l’esclavage chez le spectateur. La durée est discutable, mais ce dernier acte manque de consistance pour exister et satisfaire les exigences d’une œuvre qui hésite même à bouleverser son décalage de tons. De ce fait, nous finissons par mordre le film dans son état brut, sans que la faible nuance du maître Ashok (Rajkummar Rao) ou les encouragements de Pinky (Priyanka Chopra Jonas) ne puissent faire la différence. On y distingue une lutte publique et privée chez les serviteurs, eux-mêmes tourner vers la consommation des désirs les plus éphémères. Le héros parvient toutefois à s’affranchir du système de castes, en optimisant son approche et en apprenant la tête baissée et souillé dans la crasse de ceux qui l’ont gouverné. Et si le dénouement nous rapproche d’une observation aussi hypocrite que l’ensemble des familles à l’écran, c’est avant tout pour mieux apprécier sa sincérité du message, paradoxalement imprimé sur tous les billets locaux.


La responsabilité du réalisateur américain, dont le livre lui avait été dédié, ne laisse pas que des mauvais souvenirs, mais ne s’arme pas non plus de toute sa hargne afin de dompter la férocité et la diversité de « The White Tiger » (Le Tigre Blanc). Difficile de visualiser la modernité de l’Inde d’aujourd’hui à travers la caricature. Si l’objectif reste cependant de mesurer la portée des changements que l’on mène aujourd’hui, ce ne sera pas pour autant au profit des plus démunis et de ceux qui portent en eux une culture qui s’efface aussi rapidement que les plateformes en lignes se multiplient, même dans des régions où les inégalités sont fortes entre les nouvelles infrastructures commerciales et la cage aux poules. Ce film répond ainsi directement aux précédentes œuvres à succès, britanniques et américaines, qui laisse un peu plus de place au cynisme, mais qui ne maîtrise pas forcément le langage élémentaire pour nous captiver autour d’une détresse, pourtant bien réelle.

Cinememories
5
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le 6 avr. 2021

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