Si les films sur la Seconde Guerre mondiale sont légions, le cinéma a toujours eu tendance à privilégier le côté des vainqueurs dans la représentation du conflit. Les Américains, monopolisant l'espace cinématographique, n'ont eu de cesse de glorifier les faits et gestes de leurs héros nationaux. Seules les « Lettres d'Iwo Jima » de Clint Eastwood me viennent à l'esprit en contre-exemple. Alors quand Isao Takahata s'attèle à montrer la guerre du côté japonais, nous pouvons déjà saluer l'audace. Mieux encore, il s'empare du destin de deux enfants et le met en scène par le biais de l'animation. Nous ne parlons alors plus d'audace mais de culot.

Tout d'abord, le film évite tous les écueils des productions lacrymales disneylandisées. Dès le départ, la situation est claire : Seita et sa jeune sœur Setsuko ne survivront pas au bombardement de Köbe par les Américains (contexte de la reconquête du Pacifique). Leur mère mourant sous les bombes, les deux enfants se prennent alors en main et tentent de survivre par tous les moyens. Leur parcours, semé d'embuches, n'aboutit qu'à une funeste fin. Le seul éclat lumineux du film vient des scènes avec les lucioles. Un véritable moment de poésie dans le chaos ambiant. Si le film ne tombe pas dans le pathos, ces scènes avec les lucioles et la fin (la mort successive des deux enfants) parviendront à tirer quelques larmes à tous les spectateurs. Après tout, il aurait été malvenu de faire un film froid, brutal et sans âme.

Le réalisme du film est frappant. L'animation, qui a certes pris un petit coup de vieux en comparaison des dernières productions Ghibli, reste très jolie. Je suis personnellement resté scotché devant la destruction de la ville, croulant sous les bombes, s'embrasant, se consumant. Les séquences du début donnent même au film un aspect quasi-documentaire. Et quand nous apprenons que le film est tiré d'une nouvelle semi-autobiographique d'Akiyuki Nosaka dont la sœur mourut de malnutrition pendant la guerre, nous sommes encore plus touchés par cette histoire.

Enfin, nous retiendrons l'absence de manichéisme dans cette histoire. Même la tante ou l'agriculteur, qui peuvent apparaître comme des personnages odieux dans cette histoire, ne sont pas classés dans la catégorie « méchants ». Takahata montre très bien le contexte de la guerre qui touche les populations civiles. Accueillir deux enfants et les nourrir pour la tante ou se faire voler des récoltes pour l'agriculteur sont autant d'actions dangereuses et risquées en temps de guerre pour eux et leurs familles respectives. Le réalisateur japonais raconte avec lucidité l'égoïsme raisonné de l'humanité dans un contexte aussi difficile.

« Le tombeau des lucioles » est donc un très grand film qui allie habilement réalisme et onirisme, horreur et poésie, pour un très grand moment de cinéma. Une belle façon de découvrir la Seconde Guerre mondiale de l'autre côté du miroir.
potaille
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le 14 avr. 2012

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