La guerre sème des tombes que les lucioles viennent fleurir


" - Quand il fera plus chaud, je t'apprendrais à nager.
- Mais nager ça donne faim ..."



Et que savons-nous de la faim ? Que savons-nous de la guerre ? Que savons-nous de la mort ? Du désespoir ? De la solitude ? De l'agonie ? Expériences gravées dans la chair, images fantasmés, réalités cruelles ou curieuses fascinations, tout le monde aurait quelque chose à en dire. Tout le monde ne les a pas vécu. Aussi la prudence est de mise quand on aborde de tels thèmes, entre émotivité incontrôlée enlisant la réflexion et hyperintellectualisation venant négliger l'humain, la critique a tôt fait d'oublier que cette œuvre est avant tout l'expression d'une réalité trop banale, qui s'inscrit ici, à titre d'exemple, dans le contexte historique d'un Japon embourbé dans la Seconde Guerre Mondiale, qu'il s'apprête à perdre.


C'est donc l'histoire d'un pays exsangue et de son peuple à l'agonie, trop fier pour concéder une défaite qu'il souffre chaque jour un peu plus. Payant rubis sur l'ongle son baroud d'honneur, il n'y a plus que le sang des hommes et des femmes pour huiler la machine de guerre de cette nation orgueilleuse, tant la pluie de feu qui obscurcit son ciel brûle jusqu'à ses racines.


C'est l'histoire d'un père parti pour l'honneur, parti pour toujours. Préférant mourir pour sa patrie que de vivre pour ses enfants, il emporte avec lui espoir et rêve de victoire sur son flamboyant cuirassé, sarcophage flottant pour marins enhardis par la promesse de glorieuses victoires navales. La guerre emportera tout par le fond. Et si l'acier coules plus vite que l'espoir, ce dernier coule bien plus profond.


C'est l'histoire d'une mère qui ne rêve que de ciel bleu pour ses enfants qui se lèvent, pourtant, sous un tapis de bombes. Et un jour, un jour comme un autre, l'espoir d'un abri où attendre des jours meilleurs s'est écrasé comme s'est écrasé l'enfer sur son village. L'enfer se déchaîne puis le rideau se lève sur une scène de cendres qui ne fait plus pleurer personne si ce n'est les orphelins. Un jour comme un autre mais pour elle le dernier jour.


C'est l'histoire d'une petite fille qui n'a jamais connu son père, parti en mer pour sa patrie, et qui perd sa mère au cours d'une guerre qu'elle n'aura jamais comprise. Lui reste les larmes, la peur, la faim. Et une amère vérité : la vie n'est que douleur et difficultés, puis c'est la fin. Toujours la faim, jour après jour, du soir au matin, ponctuant une existence de luciole, morte pour rien.


C'est l'histoire d'un frère surtout, qui fera tout pour une sœur trop petite dans un monde trop grand. Lui aussi est grand maintenant, il a grandi trop vite dans un terreau stérile de peur et de nécessité mélangés. Il meurt à petit feu, à mesure de ce qu'il a perdu, et s'accroche encore pour ce qui lui reste. Il lui reste peu, il lui en reste de moins en moins, il fait pourtant tout ce qu'il peut. Et plus encore.


Mais c'est aussi l'histoire d'une tante qui compte les vies comme elle compte son riz et qui troque sa conscience contre quelques jours de plus, par nécessité. L'histoire d'un fermier qui aimerait aider mais dont la charité ne va pas jusqu'au sacrifice. L'histoire de militaires désabusés qui ne remarquent plus la mort là où elle s'étend, surtout pas à leur pied. L'histoire d'un quotidien ponctué par les alarmes et le manque. L'histoire des hommes dans ce qu'ils ont de plus primaire et de plus fragile. Une histoire triste, surement. Cruelle et injuste, sans doute. Dramatisée, peut être, dans sa narration. Une histoire vraie, avant tout, une histoire humaine.



- Pourquoi les lucioles meurent-elles si vite ?



Parce que les hommes semblent aimer les voir s'éteindre, petite fille.

Fandango_Funebre
8

Créée

le 8 janv. 2017

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