Le Tombeau des Lucioles. Vous n’en avez jamais entendu parler ? Allons donc, je n’y crois pas une seconde. Je ne vous en veux pas, cela arrive à tout le monde de rater un chef-d’œuvre. Le Tombeau des Lucioles, c’est ce film d’animation sorti en 1988, et produit par Isaho Takahata, cofondateur des studios Ghibli. Si vous êtes déjà fin connaisseur.euse de l’univers Ghibli, alors vous avez compris d’emblée qu’on s’attaque à du lourd. Si au contraire, il vous est étranger, n’attendez plus. Je vous invite à vous y plonger de toute urgence pour profiter de toute la magie, la fantaisie et les émotions qu’il a à vous offrir.

Trêve de bavardages, revenons-en au Tombeau des Lucioles. Peut-être que son titre japonais (Hotaru no Haka), ou anglais (Grave of the Fireflies) vous est familier…toujours pas ? Dans ce cas, posons quelques bases. Adaptée du récit presque autobiographique « La Tombe des Lucioles » (1967) du romancier japonais Akiyuki Nosaka, l’intrigue se déroule pendant l’été 1945, à Kobé, au Japon. Le village de Seita et de sa sœur Setsuko vient d’être détruit par un énième bombardement américain, et les voilà contraints de se réfugier à la campagne, afin de survivre au rationnement et aux bombes. En faisant mes recherches pour préparer ce compte-rendu, j’ai remarqué que la plupart des gens avaient du mal à mettre des mots sur le trouble qui s’était emparé d’eux pendant leur visionnage, puisqu’il est des choses qu’il faut vivre et qui semblent impossible à décrire par des mots. C’est là une réaction fort courante, surtout lorsque le film vous a particulièrement marqué. Heureusement pour vous, j’ai - à ma grande surprise - visionné ce film avec beaucoup de recul et en voici mon analyse.

Dans un premier temps, Le Tombeau des Lucioles est la preuve que les films à images réelles n’ont pas le monopole de la réalité. Point besoin ici d’explications à rallonge. Que les fervents lecteurs de BD et de romans graphiques m’arrêtent si je me trompe, mais il est des dessins qui sont particulièrement vecteurs d’émotions, là où une production classique parviendrait plus difficilement à transmettre le message ou les émotions voulues. Je me suis personnellement découvert une passion pour les dessins animés il y a quelques semaines, en écoutant les réflexions d’Elise Mahes, une jeune femme qui tient notamment une chaîne Youtube du même nom. Elle s’est un jour exprimée sur le peu de reconnaissance que reçoivent toutes ces productions, qu’elles soient littéraires ou cinématographiques, reliées au monde de l’illustration, en comparaison de l’engouement suscité par des productions, qui bien que suscitant un intérêt légitime, aient tout de même tendance à voler la vedette au production relatives au monde de l’animation. Elle a notamment insisté sur le fait que les producteurs de films d’animation ont d’autant plus de mérite qu’ils ne partent de rien, et se voient contraints à imaginer tout un monde, là où une production classique aura moins de difficultés à mettre en place une ambiance ou un décor puisque celui-ci est déjà préexistant. Vous me suivez ?

Pour en revenir au Tombeau des Lucioles, et puisque l’on parle de graphisme, autant aborder un point propre à ce film. Vous l’aurez peut-être remarqué mais plusieurs passages du film, sont marqués par la prédominance de la couleur rouge. C’est peu commun. En effet, lorsque l’on pense film d’animation japonais, on pense souvent manga. N’étant que novice dans cet univers, je n’ai pas encore les cartes en main pour faire une analyse détaillée de l’utilisation du rouge dans Le Tombeau des Lucioles. Cependant, je m’attends souvent, en commençant un animé, à des couleurs pastel, tout en douceur, légèreté et poésie – tons que l’on retrouve en effet dans la plupart des animés Ghibli. En ce sens, Le Tombeau des Lucioles surprend et se démarque par l’arrivée impromptue d’un ciel rougeâtre, qui nous mets d’emblée dans une atmosphère évoquant guerre, sang et explosions. Par ailleurs, il a été scientifiquement prouvé que le rouge est la couleur à laquelle l’être humain est le plus sensible. Ces nuances atypiques de rouge s’attèlent donc à nous rappeler, tout au long du film, le poids des souffrances endurées, et tentent de nous ébranler par leur atypicité pour que nous saisissions l’importance du propos, et l’importance surtout que jamais de telles situations ne se reproduisent.

Un détail qui a particulièrement retenu mon attention, c’est que le film démarre relativement vite, en comparaison à d’autres dessins animés du même type que j’ai eu l’occasion de regarder. La contextualisation se met en place très rapidement, si bien que dix minutes suffisent à mettre le spectateur dans l’ambiance. En lisant le synopsis, on se rend immédiatement compte que c’est un film sur la guerre, et on aurait, en ce sens, tendance à s’attendre à une certaine violence, légitime, au vu du sujet abordé. Néanmoins, l’impression que j’ai pu retirer du Tombeau des Lucioles à ce propos est le faible temps d’écran aloué aux scènes de combat. Evidemment, il y a les bombardements, les alarmes, la panique. Ainsi, le film se veut retranscrire les conséquences de la guerre pour les civils, plutôt qu’en faire une représentation. Le Tombeau des Lucioles n’est pas pour autant un film paisible, car si la brutalité est peu représentée à l’écran, elle n’en reste pas moins perceptible, par une certaine tension dramatique, de manière subliminale, pour venir toucher notre sensibilité.

De même, c’est un film d’animation qui se veut proche du réel. Le point de vue adopté est celui des civils et particulièrement des plus démunis : et qu’y a-t-il de plus démuni que deux enfants subsistant difficilement au fond d’une campagne pendant la guerre ? Le Tombeau des Lucioles met mine de rien en avant les conditions de vies difficiles, telles que le rationnement ou la façon dont les combats favorisent une certaine animosité entre les différents personnages. Cela le place en opposition avec la majorité de ses confrères, dans lesquels une place importante est accordée au fantastique, tels que Arietty et le petit monde des chapardeurs (2010) ou La Princesse Mononoké (1997). Cette nuance de féerisme et de poésie propre aux Ghiblis n’en reste pas moins présente en légère quantité, permettant d’alléger le propos tout en mettant en valeur l’horreur de la situation. Ce minutieux soupesage réaliste-fantastique change les codes des films d’animation, et la bande-son accentue à merveille le récit, apportant tantôt légèreté, tantôt pesanteur. En effet, les deux principaux personnages sont des victimes oubliées de l’Histoire.

Dans l’histoire, la petite, c’est une famille entière qui disparait sous nos yeux. Les deux enfants sont indésirables partout, pour la tante d’abord qui les considère comme un poids, pour les habitants ensuite, qui reprochent à Seita de ne pas s’engager pour la patrie.

S’il a abandonné cette voie, c’est qu’il est engagé autre part : il a la lourde responsabilité de préserver l’innocence de sa sœur, quitte à se défaire de la sienne au cours du processus. En effet, Setsuko ne voit le monde qu’à travers ses besoins d’enfant, des besoins primaires auxquels Seita essaye de répondre au mieux. On voit bien ici que c’est la fillette, la moins consciente de la gravité des évènements, qui est finalement la plus heureuse et qui souffre le moins, contrairement à son frère aîné qui agit comme un filtre entre elle et la dure réalité. L’histoire renvoie donc un message fort sur la dévotion à la famille, dont les liens auront résisté à tout, même à la mort. Une certaine pudeur subsiste cependant. Le sujet de la mort est majoritairement sous-entendu, si bien que Setsuko ne le comprend pas, ou ne le comprend qu’en grandissant. C’est astucieux, dans la mesure où l’on comprend des choses qu’elle n’a pas encore saisi, mais on prend plaisir, avec Seita, à la voir rire encore.

« La nuit du 21 septembre 1945, je suis mort ». C’est sur cette phrase que débute notre immersion dans le monde se Seita et Setsuko. Ce nouveau changement de réside en ce qu’en nous révélant dès le départ le destin tragique des personnages principaux, cela nous permet de nous concentrer sur tout ce qui est symbole et thème abordé, et non pas sur l’histoire en elle-même, ou l’espoir illusoire d’une fin heureuse. Le Tombeau des Lucioles va d’ailleurs baser une grande partie de son intrigue sur deux pôles diamétralement opposés : la vie et la mort. L’exemple le plus significatif est l’importance donnée à la luciole. En effet, sa durée de vie étant très courte et sa luminosité éphémère, cet animal est une métaphore représentant les illusions dans lesquelles Seita tente de garder sa petite sœur afin qu’elle garde espoir.

Ainsi, c’est lorsqu’une luciole s’éteint dans la nuit que Setsuko comprend que sa mère vient de mourir. De même, les deux enfants amènent vers la fin du film des lucioles dans le bunker qu’ils se sont construits. Le ciel étoilé qu’elles constituent sont alors un symbole fort du cocon qu’ils ont réussi à se créer, hors du temps et de la société. C’est la **création d’une illusion de vie tandis que la mort est partout**, qui amène à une réflexion.

En effet, comment vivre quand tout s’effondre ? Cet effondrement du monde extérieur, c’est aussi la disparition de nos repères, et bien que nous ne soyons – pour la plupart d’entre nous – pas en situation de grand danger comme peuvent l’être ces deux enfants, ces questionnements résonnent également dans nos vies, dans une moindre mesure.

En définitive, Le Tombeau des Lucioles, c’est un film qui provoque la réflexion sur la condition des enfants d’hier et d’aujourd’hui, vivant des choses atroces partout dans le monde, si bien que trente ans plus tard, la situation est toujours transposable au monde actuel. C’est aussi un questionnement sur le bonheur. Si deux êtres aussi démunis arrivent à être heureux, peut-être faudrait-il nous remettre en question, et revenir à ce qui est vraiment important. Je citerai ici Pascal Brückner qui écrit dans son livre L’euphorie perpétuelle : essai sur le bonheur (2000), « sous quelqu’angle qu’on le prenne, il n’est de bonheur que dans l’insouciance, l’inconscience et l’innocence, ces rares instants soustraits à l’inquiétude et aux alarmes».

sekhmetsgalaxy
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le 16 avr. 2019

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