Y'a des westerns comme ça : leur titre familier, à coup de séances du dimanche soir pendant l'enfance, ranime des souvenirs diffus, et même confus. Quelques plans, un visage d'acteur ou un son ont tôt fait de confirmer qu'on n'est pas en terra incognita.


Cette (re)découverte du film "Le train sifflera trois fois" devait être confirmation, consécration. Ce fut en vérité une vraie déception, un peu comme le jour où on débarque devant un grand classique, une œuvre indéboulonnable devant laquelle la foule silencieuse nous invite à nous incliner - et même à nous prosterner pour les plus enthousiastes.


Eh bien, là, rien. Pas un début d'émotion, pas même le commencement d'un début d'intérêt. Rivé sur mon canapé, je devais avoir le regard à peu près aussi vide que ce brave Gary Cooper qui me laisse définitivement insensible. Qu'il se coince l'orteille dans le rail de la porte de douche ou qu'il croise du regard la plus belle femme recensée sur terre, il oppose toujours cette espèce de suprématie frustrée avec un rictus à peine perceptible à la commissure des lèvres. Il joue, surjoue, le beau brun mystérieux. On se dit qu'il a une idée en tête mais ce n'est pas une idée, c'est une simple obsession sans objet.


Le scénario ne s'embarrasse pas de vraisemblance. Y'a de quoi rester stoïque devant Will Kane, un shérif sur le départ, qui vient de marier Grâce Kelly, et qui remet à plus tard - au risque que ce soit à jamais, sa nouvelle vie, pour débarrasser la ville d'un ignoble personnage (Frank Miller) qui doit arriver au prochain train. Le plus étrange, c'est qu'aucun habitant de la bourgade ne lui demande au shérif (et que personne ne l'aidera d'ailleurs, c'est le motif du film). Mon hypothèse, c'est que ce shérif est un maniaco-dépressif soumis à un surmoi superflu. Il n'y a donc que des gens suicidaires qui peuvent s'identifier aux passions du héros : ça fait bien peu de monde.


Pour pimenter ce plat déjà indigeste, le scénariste a fait de sa belle épouse une quaker qui ne supporte pas la violence. Ca doit être pour ça d'ailleurs qu'elle marrie un shérif, comme si une nonne s'entichait d'un gigolo.


Côté mise en forme, il y a quelques beaux plans fixes, une gestion de la narration en temps réel (le film et l'histoire durent 1h30) carrément intéressante, un montage affûté et une tension dramatique qui emprunte plus au thriller qu'au western. Mais l'ensemble est beaucoup trop binaire et manichéen à mon goût. Les personnages sont taillés à la serpe, et les dialogues démonstratifs à souhait. Même la lâcheté de la société, véritable sujet de ce film, est traitée à la va-vite, en mode mécanique. Pour la peine il faudrait donner plus de temps au film pour installer cette atmosphère de léthargie qui permet à chacun de se défausser.


Mais en concentrant l'attente (le leitmotiv de l'horloge est omniprésent) vers le dénouement ultime, il y avait intérêt à ce que le final soit à la hauteur. Et c'est là que le bât blesse ! Le train arrive. Comme prévu, il siffle. Trois fois. Et puis, c'est le toboggan : Miller, dont la seule évocation du nom terrifie tous les habitants d'Hadleyville, est anodin. Et ses compères, à peine crédibles.


Puis, entre le moment où Miller descend du train et le générique de fin, en 5 à 7 minutes top chrono, c'est torché après quelques coups de revolver.


Du gâchis.

Abuls
5
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Créée

le 15 mars 2017

Critique lue 739 fois

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Abuls

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