Merci Arte de diffuser Le Voleur à peine deux mois après que j'ai terminé le roman dont il est adapté. Ca c'est du bon timing. D'un autre côté ça fait de moi la pauvre victime du très célèbre et inévitable phénomène de de déception du lecteur enthousiaste face à l'adaptation d'un livre marquant. Louis Malle a mis de côté plusieurs aspects de l'œuvre de Georges Darien qui m'avait bien plu.
A commencer par les nombreuses théories anarchistes de Randal, un voleur sans scrupule car adepte d'une interprétation de la notion de la propriété privée plus qu'élastique, et avec une vision très pessimiste et sans illusion de nos classes dirigeantes. Darien s'était efforcé de donner du relief à son personnage, qui est plus le porte voix d'une philosophie politique qu'un héros haut en couleur façon Arsène Lupin. J'exagère un peu, le Randal de Louis Malle se situerait entre ses deux extrêmes, et même plutôt du côté de l'anarchiste convaincu. Mais voila, ce Randal m'a paru un peu plat et sans grande conviction ni opinion politique. Ce qui n'est absolument pas le cas dans le roman de Darien.
Et ça ce n'est pas la faute de Belmondo qui, me semble t-il, a parfaitement saisi son personnage. Il joue à merveille le nihiliste détaché de tout. Un rôle à la Belmondo période nouvelle-vague (Léon Morin, Pierrot le Fou…), en 1967 c'est sans doute son dernier d'ailleurs.
Juste un mot sur Charles Denner, qui illumine le film par présence durant ses quelques minutes à l'écran (j'ai l'impression d'avoir déjà écrit ça quelque part).
Pour revenir sur l'adaptation à proprement parler, je trouve dommage que Malle occulte le personnage de Paternoster, un blanchisseur d'argent sale, peut être le plus intéressant après Randal. Il ne traite pas non plus d'un épisode pour moi essentiel, celui où Randal qui se fait passer pour un inspecteur pénitentiaire est chargé de rédiger un rapport sur les prisons en Serbie. Il recopie des articles sur le sujet, ou invente purement et simplement certaines choses, et reçoit un bon gros salaire à la livraison. Une autre sorte de vol, institutionalisée celle-ci, qu'on pourrait appeler "emploi fictif". C'est là que le voleur prend la forme d'une critique du "système" au sens large. Mais c'est aussi là que Louis Malle ne s'est pas aventuré, et c'est bien dommage.
Le Voleur n'est pas un mauvais film. Il est même intéressant car la critique du système est bien présente, mais trop timide, surtout en comparaison avec le roman. Il y'avait mieux à faire et je ne peux pas m'empêcher d'être déçu. En revanche pour ceux qui n'ont pas lu le roman, ce film peut paraitre tout à fait correct, voir captivant. Alors je le recommande quand même. Mais je recommande surtout le chef d'œuvre de Darien.